Viviane Biwole Eloundou« Une législation ne produit de succès que si les tares décriées sont clairement adressées »

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L’expert en management analyse le contenu des deux projets de loi sur les statuts des entreprises et des établissements du secteur public dont l’examen est en cours au parlement.


Comment l’expert en management apprécie l’arrivée de ces deux projets de loi au parlement ?

Les projets de loi en étude sont présentés à l’Assemblée Nationale et au Sénat en remplacement de la loi de 99 portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic. Les deux textes consacrent la spécialisation de ces textes d’une part une loi sur les entreprises publiques dont l’objectif est de s’arrimer aux exigences d’OHADA et un texte qui régit le fonctionnement des établissements publics.
Les principaux principes de gestion des organisations publiques sont respectés aussi bien en ce qui concerne leur fonctionnement que leur arrimage aux exigences de performance. En effet, au niveau des structures, les organes de contrôle et le rôle des tutelles sont clairs et pertinents. En plus, il est prévu que les ministres des tutelles technique et financière adressent leur rapport au Président de la République (article 9 alinéa 3 de la loi sur les entreprises publiques et article 12 alinéa 4 de la loi sur les établissements publics). Les différentes dispositions s’arriment aux enjeux et contraintes de l’environnement.


On décèle quelques innovations en lisant entre les lignes, quelles sont celles que vous appréciez le plus ?

La séparation des deux textes assure une meilleure visibilité et  un meilleur arrimage aux textes communautaires notamment en ce qui concerne les entreprises publiques. Il est également important de relever pour le saluer la précision quant aux catégories des établissements publics (article 2 de la loi sur les établissements publics).
Au plan du fonctionnement, on note une cohérence entre les politiques et programmes des administrations et les sous programmes exécutés par les Etablissements Publics (article 12 alinéa 3 de la loi des établissements publics). Cette innovation assure l’alignement des résultats du niveau stratégique (DSCE) au niveau structurel (stratégie sectorielle) et  opérationnel (stratégie à périmètre ministériel tenant compte des structures sous tutelles). Cette organisation est un préalable à la production des résultats induisant des transformations sociales attendues.
Les projets de loi en cours d’étude apportent des précisions sur la fin des mandats des différents acteurs (PCA, administrateurs, Directeur Général et Directeur général Adjoint). Les modalités de leurs remplacements sont aussi bien clarifiées, les responsabilités établies. Cette innovation vient corriger les cas de vacance ou de prorogation de fait, contraires aux dispositions légales (l’article 21 de la loi sur les établissements publics rappelle que le mandat de l’administrateur y compris celui du PCA prend fin à l’expiration normale de sa durée, plus besoin du prétexte d’attente d’un autre décret présidentiel pour mettre fin à l‘activité). Cet article indique la procédure à suivre, les étapes à respecter et les acteurs impliqués.
Les textes sont également précis sur les rémunérations des responsables des établissements publics.  Bien que laissées à l’appréciation du Conseil d’Administration, celles-ci ne sauraient dépasser les plafonds prévus par la règlementation en vigueur (article 23 du projet de loi).
L’une des innovations importante concerne les incompatibilités. Si celles-ci ont toujours existé et sont parfois violées au mépris des dispositions légales, il convient de relever que les incompatibilités mentionnées ne souffrent d’aucune ambiguïté.
Il apparait également dans le texte que le conseil d’administration nomme des responsables à partir du rang de sous-directeur, au lieu de Directeur comme dans l’ancienne loi. Ce qui renforce le contrôle de la structure notamment en ce qui concerne le choix des collaborateurs du DG.
L’une des innovations est le type de comptabilité tenu par les établissements publics : la comptabilité budgétaire, générale et analytique. Cette innovation va fondamentalement changer le fonctionnement des établissements publics en ce sens qu’il sera désormais nécessaire de détailler le coût des interventions et des services pour tenir une bonne comptabilité analytique.

 Avons-nous enfin  les textes adequats pour définitivement mettre fin à la gabegie généralisée, aux déficits de performance et autres insuffisances dans la gestion de ces entités publiques ?

En tant que spécialiste, j’ai quelques regrets à la lecture des deux projets de loi. Je vais en citer sept :
Les incompatibilités exprimées ne relèvent pas l’une des incompatibilités antérieurement en vigueur. Il s’agit de l’incompatibilité entre le poste de PCA et celui de Ministre. Cette incompatibilité est enlevée sans que des arguments explicatifs ne soient exposés comme si l’une des raisons était d’entériner cette situation pourtant décriée depuis des années. Cette orientation légitime donc le choix d’encourager ce cumul.
Le deuxième regret qui découle du premier tient au cas où le ministre est en même temps le PCA et le ministre de tutelle. Il y a là un cumul de fonctions par un même acteur dont les rôles sont pourtant différents au sens du texte en examen.
Le troisième regret tient au mode de contrôle de l’action du conseil d’administration. Il est vrai que les tutelles adressent un rapport de la santé de l’entreprise à la Présidence de la République ; mais comment est évalué le rôle du conseil d’administration ? Il conviendrait à ce niveau de prévoir des audits externes et indépendants faits par des cabinets privés tous les trois ans au moins.
Le quatrième regret est qu’il n’existe pas de dispositions qui obligent les entreprises et établissements à la reddition des comptes. Si la situation est réglée pour les entreprises au regard des dispositions OHADA, ce n’est pas le cas des établissements publics. On pourrait pourtant envisager un contrôle citoyen à travers la publication des comptes des établissements publics. C’est une exigence de performance qui semble diluée dans le texte en examen.
L’un des regrets les plus importants ici est le mode de désignation des Directeurs Généraux. Il est précisé que le Directeur Général et le Directeur Général Adjoint sont nommés par décret du Président de la République (article 35 alinéa 2) et pour les entreprises publiques ils sont nommés par le Conseil d’Administration sur proposition de l’actionnaire majoritaire. Si l’actionnaire majorité est l’Etat alors implicitement il sera désigné par le Président de la République. Rien n’est dit sur leur mode de désignation. Et pourtant s’il convient de rester conforme aux exigences de performances telles que l’esprit de la loi l’indique, il n’est pas impertinent d’envisager un appel à candidature (même restreint) suivi d’une audition soit des membres du conseil soit d’un comité créé au sein du conseil de ministres ou de cabinet. Cette proposition vaut d’autant que la loi est muette sur le profil du Directeur Général et de son Adjoint. Le principe de discrétion ne semble pas toujours le plus efficace. Les expériences antérieures peuvent en témoigner.
De même, il est regrettable de constater que la loi ne prévoit pas une disposition sur le profil des administrateurs. Elle pourrait disposer que : « les membres du conseil d’administration doivent avoir un profil qui cadre avec l’objet social de l’entreprise. Par ailleurs il devrait disposer de compétences avérées en matière de lecture et interprétation des états financiers ». Une indication sur le profil des administrateurs est un enjeu important en rapport avec l’obligation de performance des entreprises publiques.
Il ne me semble pas pertinent de retenir que le Ministre, le PCA, le DG et le DGA soient tous nommés par la même autorité, le Président de la République. Ils tirent tous leur légitimité de cette autorité, il serait alors difficile que le PCA ou le Ministre aient un véritable pouvoir sur les DG. Il serait alors important d’avoir une hiérarchie par escalier, le DG et le DGA pourraient être nommés par le Président « sur proposition du Conseil d’Administration » à défaut d’être nommés par le Conseil d’Administration. Si non il faut craindre dans la pratique des cas de défiances entre les organes dirigeants dont la hiérarchie est pourtant bien assumée dans la loi.

Les deux projets sont sur la table des députés et des sénateurs pour leur maturation législative.  Que diriez-vous à ceux qui travaillent en ce moment sur ces textes ?

Je viens d’exprimer quelques regrets mais je peux aussi partager les interrogations que la lecture des deux projets de loi suscite dans mon esprit.
La première question concerne le sort réservé aux rapports des tutelles envoyées au Président de la République : chaque établissement public a au moins deux tutelles (financière et technique), s’agit-il de deux rapports ? Si c’est le cas, il va se créer une bureaucratie supplémentaire à la Présidence déjà sollicitée par plusieurs dossiers. Que deviennent ces rapports ? Rien n’est dit sur leur usage.

La deuxième question : la loi prévoit des exigences de performance et principalement l’arrimage aux programmes des ministères de tutelle. Et pourtant rien n’est dit sur la sanction du Directeur Général en cas de contreperformance. Pourquoi cette option n’a pas été clairement affichée? Cet affichage n’est pas fantaisiste, il a le mérite d’indexer l’une des missions fondamentales du Directeur Général qui est d’atteindre les résultats.
La troisième question est simple : que faire en cas de non-respect des dispositions de la présente loi ? Ce d’autant que la mise en œuvre de la précédente loi (la loi de 99) n’a pas toujours brillé par son exemplarité. Quelles sont les dispositions prises par le Gouvernement pour assurer de la mise en œuvre sans faille des dispositions actuelles ?
Pour la quatrième question, il est mentionné à l’article 65 du projet de loi des établissements publics que le Directeur rend compte de la gestion du patrimoine de l’entreprise,  pourquoi ne pas lui exiger la tenue d’un compte matières ?

Sans langue de bois, Viviane Biwole Eloundou, la gestion des entreprises et établissements du secteur public, va-t-elle connaitre un gain de performance avec ce nouveau dispositif législatif envisagé ?

Malheureusement mon sentiment est négatif. Ces deux lois ne seront pas différentes de la précédente en termes d’impact positif. La mise en œuvre d’une législation ne produit de succès que si les tares de l’environnement institutionnel et les pratiques décriées (corruption, discriminations diverses)  sont clairement adressées et combattues.
Les présents projets de loi, comme la loi de 2007 sur le régime financier de l’Etat accordent une grande marge de manœuvre et de responsabilité aux Directeurs Généraux et aux Conseils d’Administration. Depuis 2007 soit 10 ans, l’actualité nous laisse observer des déviances qui sont encore présentes et qui pourraient être préjudiciables aux bonnes intentions manifestées dans la conception de ces textes. Par ailleurs, lorsque les textes sont de bonne qualité, il faut s’assurer qu’ils sont respectés.

Propos recueillis par Elvis Mbimba      

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