Que retenir des décrets présidentiels du 19 juin sur les entités publiques ? Interview accordée au journal Défis actuels le 27 juin 2019.

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1- Le président de la République a signé le 19 juin dernier trois décrets précisant les modalités d’application de certaines dispositions des lois de 2017, portant statut général des établissements publics et des entreprises publiques. Quelles lectures pouvez-vous faire de ces textes ?

Les trois décrets du 19 juin 2019 précisent les modalités d’application des lois de 2017 sur le fonctionnement des entités publiques. Ils complètent donc le dispositif, disons la réforme en cours, en précisant les conditions de mise en œuvre des principales activités des entreprises concernées. Ils permettront, si toutes ces dispositions sont appliquées, d’assainir ce secteur public caractérisé par des contreperformances chroniques depuis plus de 10 ans. Trois lectures peuvent être faites.

D’abord, ces décrets mettent fin à la complaisance souvent observée dans le fonctionnement des conseils d’administration en ce qui concerne les modalités de rémunération des dirigeants, la gestion du personnel, l’évaluation des dirigeants et les mandats des mandataires sociaux. Ils insistent sur l’exigence de performance des établissements publics, de compétitivité et de rentabilité des entreprises publiques.

Ensuite, à la lecture détaillée de ces textes, on serait tenté d’affirmer que ce secteur est désormais appelé à fonctionner selon les exigences du privé. C’est la privatisation d’une partie de l’administration publique qui est engagée. Cet engagement invite à plus d’efficience et à une plus grande qualité de la dépense publique. Désormais, les dirigeants seront rémunérés par rapport au chiffre d’affaires moyen des trois années précédentes. Les rémunérations sont alors adossées à la performance des entreprises publiques. Bien plus, ces textes sortent les entités publiques de l’illégalité constamment rappelée par la chambre des comptes. La pratique des rémunérations dans les entités publiques violait les montants contenus dans le décret 78/462 du 24 octobre 1978, jugés caduques et inadaptés au contexte actuel.

Enfin, l’autre fait marquant est l’« ajustement structurel » que subit ce secteur. Une simulation dans une entreprise publique indique une diminution de 40 % du salaire de base du directeur général et une baisse de prime de non-logement de 2,5 millions à 750 000. Sur la base d’une simulation globale, l’État pourrait économiser 50 % des dépenses relatives aux rémunérations et avantages des responsables de ces entités publiques. Ce qui fait des économes de quelques milliards ! L’encadrement juridique des salaires discipline ainsi les largesses accordées par le conseil d’administration au confort des dirigeants de l’entreprise. En plus de cet ajustement, les revenus des dirigeants sont astreints implicitement à des contrats de performance. En effet, la fluctuation des chiffres d’affaires, base de fixation des salaires, entrainement une fluctuation des revenus des dirigeants et au pire de cas leur éviction.

2- Quelles sont les innovations, en termes d’avancées, contenues dans ces textes et quels peuvent en être les effets sur le fonctionnement des entreprises publiques ?

Il y a beaucoup d’avancées. Nous allons en citer sans prétendre à l’exhaustivité. Pour certains, ces avancées peuvent paraître évidentes ou relevant du bon sens, mais pour notre contexte il s’agit d’importants changements.

  1. Les mandats : le respect scrupuleux de ceux-ci est désormais de la responsabilité individuelle des directeurs généraux (qui doivent saisir l’autorité pour faire le point de leurs mandatures), des PCA (pour eux-mêmes et pour les administrateurs), des administrateurs eux-mêmes (ils doivent saisir l’autorité qui les a nommés en cas de départ à la retraite ou de mobilité entraînant la perte de la qualité d’administrateur). Les responsabilités civile et pénale des administrateurs sont rappelées pour les actes pris en violation de ces dispositions.
  2. Les responsabilités des différents acteurs clairement définies : on constate le choix du législateur de respecter la séparation entre la direction et le contrôle. Le DG est le seul responsable de la performance de l’entreprise. Le conseil d’administration (évaluation des performances et mise en place des outils de gestion notamment la fonction d’audit interne et de contrôle de gestion) et les tutelles techniques (alignement aux politiques publiques du secteur, respect des lois et règlement) et financières (suivi de la qualité de la dépense publique) sont responsables de la discipline du DG.
  3. La rémunération adossée à la performance : les rémunérations dépendent des catégories des entités publiques (classées de 1 à 5 en fonction du chiffre d’affaires). Il est impressionnant de constater que les entités publiques adoptent des contraintes du privé pour améliorer leurs performances. C’est désormais acté, c’est une composante de la fonction publique qui est privatisée. Cette exigence pourrait corriger, nous l’espérons, les contreperformances récurrentes des entreprises publiques. La dépendance de leur rémunération à leur performance serait un levier pour une meilleure gouvernance. Le choix de cette modalité pourra alors rompre avec certaines pratiques : recrutement fantaisiste, nomination affinitaire, voire ethnique, qualité de la décision managériale (analyse coût/avantage), choix des investissements adéquats, prospective et analyse prévisionnelle. Toutes les fonctions de gestion seront désormais sollicitées.
  4. La transparence dans la gestion de l’entreprise avec les délais de transmission des rapports aux différentes parties prenantes. Les destinataires des rapports sont identifiés. Ils sont le MINFI (le conseil doit lui transmettre les états financiers certifiés et le rapport du commissaire aux comptes), les tutelles (le conseil d’administration lui transmet les informations financières relatives à la rémunération des administrateurs et plus globalement à la politique de rémunération des principaux dirigeants de l’entreprise, un rapport annuel d’activité et de gestion de l’entité publique), le public (le conseil d’administration doit faire publier les résultats opérationnels de l’entreprise tous les ans sur son site web). Cette exigence entraîne celle pour toutes les entités publiques de disposer d’un site web opérationnel, ce qui n’est pas toujours le cas.
  5. Accent particulier sur les recrutements : selon les besoins de l’entreprise ; le respect de la diversité (équilibre régional), des approches « genre », « vulnérable » ou « handicap » ; l’interdiction des prorogations d’activité, abusivement appliquées dans les entités publiques alors qu’il s’agit de la seule prérogative du président de la République ! Désormais, il est mis à la disposition du PCA un personnel d’appui, une assistante de direction, un cadre et un chauffeur ; tous payés par l’entité publique.
  6. Restrictions diverses tendant à éviter les dérives : au plus 4 comités au sein du conseil d’administration et qui ne sauraient s’attribuer les missions des structures internes de l’entité publique. Par ailleurs, les dirigeants de l’entité publique ne sont pas rémunérés pour les comités créés en leur sein et relevant de leur coordination.

3- On note néanmoins certains manquements qui se traduisent notamment par le dédoublement entre le ministre de tutelle et PCA ; le profil des administrateurs, etc. Qu’est-ce qui peut expliquer ces insuffisances ?

Le dédoublement fonctionnel de ministre de tutelle et PCA n’est pas illégal. Les lois n° 2017/011 et 3012/011 du 12 juillet 2017 lèvent le verrou de l’incompatibilité entre PCA et ministre. Elles restent muettes sur la possibilité pour le ministre de tutelle d’être PCA. Bien que légal, ce dédoublement fonctionnel pourrait s’avérer inefficace. En effet, l’article 6 du décret n° 2019/320 du 19 juin 2019 dispose entre autres que le conseil d’administration informe les deux tutelles des indemnités et globalement de la politique de rémunération des membres du conseil et des dirigeants de l’entreprise ; il transmet aux deux tutelles un rapport annuel des activités de l’entité publique qui précise la vision, la stratégie et les objectifs de développement, les rémunérations, l’analyse des risques et leur gestion, le plan d’investissement, les données financières et les relations financières avec l’État. Donc, le PCA-ministre de tutelle se transmettra à lui-même les rapports et s’informera de la politique de rémunération de l’entreprise. NON, sérieusement, c’est un dédoublement fonctionnel incestueux.

Cette situation suscite d’autres débats non tranchés dans le dispositif actuel : doit-on être PCA de plus d’un conseil d’administration et en même temps membre d’autres conseils d’administration ? Nous connaissons des cas de hauts responsables qui sont PCA de deux entreprises, membres du conseil d’administration d’une entreprise en plus de ses hautes charges administratives quotidiennes. Peut-on être efficacement ministre et PCA d’une entreprise publique ? La question est préoccupante quand on se souvient des responsabilités des PCA en ce qui concerne le contrôle de performance de l’entreprise, la mise en place et le suivi des outils de gouvernance de l’entreprise et de ses responsabilités au sein du conseil comme autorité des marchés ? Pour cette dernière responsabilité, le récent décret sur le code des marchés reconnait au PCA des responsabilités individuelles en plus de celles du conseil. Il est alors difficile de croire que ces ministres doublés de PCA seront efficaces en même temps comme PCA et comme ministre. C’est ma modeste conviction ! Sauf à vouloir me convaincre qu’être ministre n’est pas une fonction à temps plein. On pourrait encore restreindre au cas des ministres délégués ou aux secrétaires d’État.

En ce qui concerne le profil de l’administrateur, c’est une donnée qui semble implicite. L’analyse des textes décline des responsabilités qui permettent d’identifier les compétences et donc les profils des administrateurs. Pour le représentant de la tutelle technique, le profil est sans doute plus étoffé. Il ne serait pas inconvenant de prévoir l’élaboration d’un référentiel de compétences pour les administrateurs (pour des compétences génériques et les compétences spécifiques). Le texte prévoit déjà un règlement intérieur et une charte pour administrateur. D’autres outils de gestion qui n’ont pas besoin de figurer dans les décrets et lois seront, sans doute, élaborés pour assurer un fonctionnement efficace de l’entité publique.

4- L’article 10 du décret no 320 du 16 juin précise, en ce qui concerne les mandataires sociaux, qu’aucun membre du conseil d’administration ne peut siéger une fois son mandat échu. Ceci sonne-t-il la fin des mandats qui s’étendaient indéfiniment ? Quelle peut être la plus-value d’une telle disposition sur le fonctionnement des entreprises ?

Cette disposition n’est qu’un rappel de la loi. Il s’agit d’une délinquance administrative (certains diraient tolérance administrative) qui est une violation flagrante de la loi. À mon sens, cette disposition n’est que l’aveu d’un dysfonctionnement entretenu par les conseils d’administration. La seule plus-value qu’elle apporte est simplement de faire vivre les institutions dans la légalité.

5-Le décret 2019/320 du 19 juin 2019 apporte aussi des clarifications sur les responsabilités des différents acteurs (Minfi, PCA, DG, etc.) intervenants au sein des différentes entreprises. Qu’est-ce qui change concrètement ?

Ce qui change fondamentalement c’est la clarification des rôles et responsabilités des différents acteurs. Il ne vous a pas échappé que plusieurs conflits de compétences entre les PCA et les DG ont nourri l’actualité ! Qu’il s’agisse du recrutement, des nominations ou de la désignation des présidents des commissions de marchés et des commissions d’analyse. Désormais la séparation entre la direction générale et le conseil d’administration d’une part et, entre la direction générale et les tutelles d’autre part, est claire. Ces décrets peuvent donner l’impression d’une contradiction avec la loi de 2017 qui octroie les pleins pouvoirs au conseil. Il n’en n’est rien, ces pleins pouvoirs sont assumés dans ses prérogatives de contrôle et de sanction et non d’ingérence dans la gestion quotidienne de l’entreprise. Ces pleins pouvoirs sont désormais encadrés et visent à éviter des dérives flagrantes ayant un impact dommageable sur la qualité de la dépense publique.

6- Les décrets no 321 et 322 fixent la rémunération, les indemnités et les avantages des établissements et entreprises publiques. Quelles interprétations pouvez-vous en faire ?

Ces décrets ont l’avantage d’encadrer les rémunérations des entités publiques dont les écarts ne reposaient sur aucune base légale. En effet, il était laissé à la discrétion du conseil d’administration, la latitude de décider des montants des différentes rémunérations. Désormais, cette discrétion est légalement encadrée. Surtout, elle est adossée sur les performances des dirigeants. Finie l’époque des rémunérations fixes. Ce contexte accroît la responsabilité des dirigeants sur un double plan. Le premier est de créer de la valeur pour faire progresser l’entreprise ou la maintenir au moins stable et le deuxième est la fluctuation conséquente des revenus des dirigeants. Par ailleurs, les mandataires sociaux, désormais gardiens de la performance des entreprises restent solidaires des résultats produits. À défaut de sanctionner les dirigeants, ils seront coresponsables des contreperformances enregistrées et devront être interpellés au même titre que le directeur général.

 7- Malgré les clarifications du décret no 322, force est de constater que certaines personnalités occupent le poste de PCA au sein de plusieurs entreprises. Comment ces cas seront-ils gérés ?

Les autorités compétentes vont certainement trancher ces cas, bien connus. Mais, il ne me semble pas que ce soit illégal. Sauf que désormais, la légalité est couplée à l’efficacité, c’est à ce niveau que les conséquences sont visibles.

8- Les frais de déplacement des responsables à l’intérieur et à l’extérieur du pays sont également précisés dans le décret 322 du 16 juin 2019. Qu’est-ce qui a motivé cette décision et quel pourrait en être l’impact sur la gestion financière des entreprises concernées ?

Je pense qu’il s’agit d’une décision rationnelle qui se justifie entre autres par la situation actuelle. Si la rationalité en est le vecteur, la conjoncture se prête à une discipline plus accrue dans la dépense publique. Il n’échappe à personne que nous ne sommes pas en crise, pour autant que le mot « crise » contient, il me semble, une grande vertu pathologique. La situation est plus grave, nous sommes en conjoncture critique ; ce qui pourrait justifier ce grand ajustement dans le secteur public alors présenté par les bailleurs de fonds comme le plus gros risque budgétaire.

9-Certains acteurs émettent tout de même des réserves quant à l’application stricte des mesures contenues dans ces différents décrets. À quoi s’exposent ceux qui enfreindraient ces dispositions ?

Il est vrai que les habitudes antérieures entretiennent légitimement ces réserves. Ces habitudes qui malheureusement tendaient à violer les textes (lois et décrets) sans être punis. C’est sans doute l’occasion de savoir quelles sont les responsabilités civiles et pénales qui devraient être appliquées à ces contrevenants du passé. La réponse à cette préoccupation garantit sans doute le respect de ce nouveau dispositif. Toujours est-il que ces dispositions (sanctions) existent et sont contenues pour certaines dans le code pénal. Donc chacun sait ce qu’il doit assumer devant la République !

10- D’après vous, ce décret va-t-il mettre fin aux conflits de compétence entre le PCA et le DG des établissements et entreprises publics ?

 Ce n’est pas le décret qui met fin aux conflits entre PCA et DG. Le décret clarifie les rôles et compétences de chacun. Mais vous savez qu’il s’agit des êtres humains et les conflits sont consubstantiels à la vie entre humains. Il pourrait toujours y avoir des conflits, l’avantage est que le texte permettra d’arbitrer. Les conflits ne sont pas toujours néfastes, ils permettent d’identifier des dysfonctionnements à corriger. Et puis, sérieusement, entre PCA et DG ce n’est pas forcément une relation d’amour, la relation contractuelle qui les lie s’accommode mal des « je t’aime moi non plus », les deux acteurs ayant, théoriquement des intérêts divergents ! Par ailleurs, les conflits ne sont pas seulement du fait de l’interprétation des textes, il y a des incompatibilités de tempérament, d’éducation voire de formation. Malheureusement, ce n’est pas le texte qui adresse ces questions. Il apparaît tout de même que ces conflits liés aux différences de personnalités et d’intérêts puissent bloquer le fonctionnement de l’entité publique.

Ce qu’on peut regretter tout de même, et je le dis d’expérience, c’est que le texte ne prévoit pas d’instance de règlement de conflits et des voies de recours pour débattre de certaines divergences laissant ainsi « la victime » au sort de son « bourreau » au nom de la domination ou de la supériorité hiérarchique ! L’entité publique est parfois vécue comme une prison psychique où la loi du plus fort s’applique même au détriment des droits des plus faibles. C’est en cela que la plus grande faiblesse du dispositif réglementaire des entités publique est le fait d’appliquer ce que nous appelons dans le jargon de gestion la gouvernance actionnariale où seuls comptent les intérêts de l’actionnaire (ici c’est l’État). On oppose ce type de gouvernance à la gouvernance partenariale qui tient compte des intérêts de toutes les parties prenantes, dans ce cas, le personnel, les fournisseurs, les clients/usagers/bénéficiaires se considèrent comme propriétaires et leur évaluation pèse tout autant que celle du propriétaire (l’État). On pourrait alors entrevoir des dialogues de gestion entre les dirigeants et le personnel, entre les dirigeants et les autres parties prenantes pour anticiper sur les conflits sociaux et commerciaux et envisager une responsabilité sociale des entités publiques. Mais nous pensons qu’il s’agit d’un processus et que la réforme engagée permettra d’envisager cette hypothèse. En attendant, la coordination administrative pourrait faciliter le respect des droits de toutes les parties prenantes.

Une réponse à “Que retenir des décrets présidentiels du 19 juin sur les entités publiques ? Interview accordée au journal Défis actuels le 27 juin 2019.”

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