COMMENTAIRES DU RAPPORT-FMI SUR LES ENTREPRISES PUBLIQUES : Entre constats préoccupants et propositions discutables

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Le Fonds Monétaire International a récemment publié un rapport sur le thème : renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires dans la gestion des entreprises publiques. Il s’agit des conseils techniques fournis aux autorités camerounaises en réponse à leur demande d’assistance technique.

Nous avons lu ce rapport et portons l’analyse à travers six préoccupations.

  1. Constats préoccupants du rapport

Tous les maux exposés dans le rapport du FMI sont très préoccupants. Il est risqué de vouloir y construire une hiérarchie. En réalité, ils sont tous inter-reliés. Les uns sont la cause des autres et certains les conséquences d’autres ! C’est une réalité troublante qui évoque des incohérences conceptuelles et opérationnelles.

Au plan conceptuel, deux arguments inquiètent sérieusement. En premier, le rapport du FMI nous rappelle que l’État du Cameroun n’a clairement pas décidé de son déploiement comme actionnaire, il suggère « de définir le cadre général de l’État actionnaire à travers un document précisant les justifications de la politique d’actionnariat, les objectifs de performance et les orientations en matière de surveillance et de gouvernance ». C’est à croire que la politique publique déclinée dans le document de stratégie du Cameroun relativement à la « rationalisation de la gestion des établissements et entreprises publics » (SND30, P.116) n’en est pas une ? Et pourtant à la relecture, les orientations y relatives visent deux objectifs : résorber le caractère déficitaire de la majorité des entreprises publiques et renforcer leur performance en corrélant les subventions allouées aux résultats attendus. « De manière générale, les autorités envisagent : (i) de rationaliser la gestion du portefeuille de l’État ; et (ii) d’introduire un dispositif d’évaluation triennale des dirigeants et d’entreprises publics ». Si l’objectif de rationalisation du portefeuille de l’État est conforme à ce que prévoit la SND30, ce qui inquiète est que ces orientations ne semblent pas s’appuyer sur des bases analytiques fiables au regard des constats relevés: une connaissance approximative du périmètre du portefeuille de l’Etat (absence d’un répertoire unique, exhaustif et régulièrement mis à jour des entreprises publiques) ; une faible traçabilité des dettes et créances des entreprises d’une part et, du patrimoine des entreprises, d’autre part.

Le deuxième argument qui inquiète au plan conceptuel est que’État qui est censé contrôler les entreprises publiques dans une relation d’agence qu’il a lui-même délibérément créée ne semble pas outillé pour l’assumer. La relation d’agence est établie lorsque qu’un principal (ici l’État) confie la gestion d’une entreprise à un dirigeant pour qu’il agisse dans le sens de ses intérêts. Dans ce contexte, il y a une séparation entre le contrôle et la direction. L’État est responsable du contrôle et le dirigeant assure la performance de l’entreprise. Le contrôle ici est exercé à travers la surveillance de l’État et les incitations qu’il propose pour dissuader le dirigeant de détourner son patrimoine. Il apparaît clairement dans le rapport du FMI que l’État est dans l’incapacité d’assurer le contrôle : la surveillance des entreprises est fragmentée entre de multiples intervenants sans cohérence ni coordination, absence d’un système d’information partagé entre les différentes structures en charge du contrôle, le contrôle n’est pas exhaustif (la Société Nationale des Hydrocarbures et la Société Nationale des Investissements en charge du suivi d’un portefeuille significatif des entreprises sont en marge du contrôle), absence d’un tableau de bord d’indicateurs de contrôle (il est suggéré de renforcer et d’harmoniser la structure et le contenu du rapport sur l’état du portefeuille de l’Etat), le contrôle exercé par le Conseil d’Administration est ignoré dans le rapport et pourtant c’est l’organe de contrôle par excellence des entreprises publiques.

Pour conclure sur ces constats de nature conceptuelle, il apparaît que l’idéologie qui sous-tend le déploiement de l’État n’est pas lisible. Dans la littérature en effet, trois approches sont convoquées en matière de gouvernance des entreprises : la gouvernance actionnariale, la gouvernance partenariale et la gouvernance cognitive. Les deux premières sont de nature disciplinaire (resserrement du contrôle du dirigeant avec un conseil d’administration qui donne des orientations et un dirigeant qui exécute). Dans le cadre de la gouvernance cognitive, une marge de manœuvre est laissée au dirigeant qui est évaluée aux résultats. Ces deux logiques pourtant inscrites sur des polarités, cohabitent et annihilent les transactions des différents acteurs : en même temps les dirigeants sont évalués par rapport à l’accroissement du Chiffre d’affaires, ce qui présume qu’il a la liberté des choix des investissements (option cognitive) ; en même temps, son action est conditionnée par l’aval du Conseil d’administration qui le réduit alors à un simple exécutant (option disciplinaire). Le rapport du FMI complique encore les choses en suggérant un contrôle budgétaire supplémentaire sous la coordination de la CTR. Si on reconnaît à cet organe son rôle de conseil et de pilotage pour la politique de l’État actionnaire, ce rôle devrait particulièrement se concentrer sur les analyses stratégiques infusées dans les entreprises à travers les Conseils d’Administration. Il ne s’agit pas de notre point de vue d’en faire un acteur opérationnel. Les analyses contenues dans le rapport du FMI semblent privilégier un contrôle budgétaire (voir administratif) des entreprises alors que l’option de la gouvernance (au sens large) portée par les lois de 2017 en font des entités autonomes sous la responsabilité d’un Conseil d’Administration (CA).

En ce qui concerne les incohérences opérationnelles, les dysfonctionnements levés et les recommandations formulées  indexent la faible performance des CA dont le rôle est d’apporter l’assurance à l’État que les entreprises sont efficacement gérées : l’endettement irrationnel des entreprises publiques (quid du respect des ratios prudentiels ?), institutionnalisation de la gouvernance par contrat programmes (quid des budgets programmes tant vantés ?), élaboration d’un tableau de bord régulièrement à jour, des risques par entreprise publique (quid de la fonction d’audit des entreprises ; chargée de présenter au CA un rapport annuel d’audit, la cartographie des risques est un exercice préalable à cette activité). En somme, le rapport du FMI indique implicitement que le CA n’est qu’un gadget et que son rôle n’a aucun effet sur la gestion des entreprises publiques.

  1. L’indifférence aux recommandations des audits

Cette préoccupation est embarrassante. En fait, les audits formulent des avis et l’instance d’arbitrage est le CA. C’est lui qui instruit le Directeur Général d’exécuter ses orientations. Or dans le rapport, il est clairement mentionné que la qualité (en termes de compétences) des membres du CA inquiète au point de suggérer la professionnalisation des représentants de l’État dans le CA et la diversification de la composition du CA. Cette proposition évite d’adresser la véritable question du choix des administrateurs. Rien ne garantit en effet que les professionnels formés à la tâche soient responsabilisés comme administrateurs, puisque le choix des administrateurs relève de la décision discrétionnaire du Chef de l’État. Le rapport du FMI rappelle à dessein à la page 8 que « l’effectivité des CA apparaît variable en l’absence des critères objectifs de sélection des administrateurs par leurs compétences et leurs diversités ». Vous comprenez alors que le succès des propositions techniques formulées dans le rapport du FMI (et par ricochet celles contenues dans les rapports d’audits des entreprises publiques) ont un substrat politique. En effet, qu’il s’agisse du mode de désignation des administrateurs, du respect des mandats des DG, DGA et PCA ou de la qualité du contrôle ; tous ces dysfonctionnements sont tributaires des décisions relevant d’une autorité politique : le Chef de l’État.

  1. Politique claire et efficace de l’État actionnaire

Il faut faire un choix conceptuel clair. Si on s’inscrit dans la gouvernance des entreprises, on s’assure qu’il y ait bien séparation entre le contrôle et la direction (en évitant des incohérences contre nature du genre le PCA est en même temps ministre de tutelle) ; mettre en place un dispositif de contrôle dont la première responsabilité incombe au CA (je partage l’idée de sa diversification proposée par le FMI) et surtout le choix des administrateurs sur la base de critères objectifs. Je ne crois pas à la professionnalisation des administrateurs, à leur désignation systématique dans les CA. Il me semble aussi opportun d’évacuer la perception du rôle du dirigeant qui apparaît implicitement dans les recommandations du rapport du FMI qui en fait un « gestionnaire de crédits » ; d’où la priorité du contrôle budgétaire. Un dirigeant est un manager dont la responsabilité est de contribuer aux transmutations à travers sa participation à la mise en œuvre d’une politique publique. En cela la gestion budgétaire n’est qu’un moyen, il doit être évalué aux résultats (changements structurels) qu’il a induits. Je comprends que cet argument puisse irriter certains collègues d’une autre « école » prétextant d’une posture idéologique particulière (management opposé à l’administration) ; je dirai qu’il s’agit de s’aligner aux options contenues dans les lois de 2017. Ramer à contrecourant est contreproductif !

  1. Quelques propositions déjà prises en compte dans la stratégie de l’État
  • Institutionnalisation des contrats-programmes : pour moi, cette proposition est une reculade, le budget programme va au-delà de celle-ci. A mon sens, ce n’est pas le nom de l’outil qui est un problème mais son usage, son appropriation, sa congruence avec les décisions et le milieu qui l’accueille.
  • Ouverture progressive du capital et la privatisation des Entreprises publiques : c’est une décision importante qui relève de la stratégie de déploiement de l’État. Il est d’ailleurs prévu dans la SND30 à la page 134 « la privatisation de la gestion des entreprises évoluant dans des secteurs hautement concurrentiels » ; ce n’est donc pas une nouveauté. Par contre, l’intéressant ; c’est de commencer par résoudre les problèmes élémentaires : avoir un fichier exhaustif et unique des entreprises publiques ; contrôler l’endettement de ces entreprises (garantir le respect des procédures d’examen préalable par le Comité national de la dette publique) ; choisir des gestionnaires et administrateurs efficaces et sanctionner (positivement et négativement) leurs performances. On ne peut pas continuer avec une gestion laxiste, sans vitalité, voire paternaliste des entreprises publiques, faire des choix contreproductifs et donc participer à la faillite des entreprises publiques pour les rendre par la suite éligibles à la privatisation de tout ou d’une partie du capital : c’est faire preuve d’incompétence managériale. Je pense pour ma part que ces entreprises peuvent être viables si elles sont soumises aux règles rigoureuses de gestion par les personnes compétentes. Il faut faire preuve de courage managérial et affronter les problèmes en attaquant leurs véritables causes. Le problème est surtout politique que technique.
  1. Le rapport du FMI nécessite-t-il une action urgente ?

Pour vous dire honnêtement, je ne suis surprise par aucun constat ou recommandation du rapport. Sa principale valeur est qu’il est réalisé par le FMI. Sinon, les dysfonctionnements relevés sont régulièrement décriés par nous-mêmes et les experts du domaine. Le problème de la qualité du contrôle est connu ; la violation de la durée des mandats est une réalité flagrante depuis la loi de 1999 qui a été remplacée par les lois de 2017 qui, fort probablement hériteront de cette maladie congénitale ; la question de la fabrique des gestionnaires et des administrateurs a déjà été adressée dans nos différentes tribunes ; l’absence de contrôle systématique des gestionnaires constitue une récurrence ; l’absence de publication des rapports de performances et de contrôle est une tare connue ;  l’absence d’outils consensuels pour l’évaluation des dirigeants a été soulevée lorsque les décrets 320, 321 et 322 du 19 juin 2019 ont été publiés.

Aujourd’hui encore nous avons les cas des entreprises publiques où le PCA est en même temps tutelle technique sans que personne ne s’en émeuve ! C’est le cas de la SIC. L’année dernière, nous avons attiré l’attention sur le défaut de toutes les entreprises à n’être pas encore arrimées au nouveau cadre institutionnel. Plusieurs d’entre elles ne se sont pas encore dotées des outils stratégiques nécessaires pour le conseil d’administration. La fonction d’audit est encore pour certaine, une bonne intention (çà ne semble pas être la priorité). Donc pour conclure, les problèmes sont connus, des suggestions existent ; il ne manque plus que l’action et le courage managérial pour passer à la vitesse supérieure. Il y aura donc, même dans 10 ans en conséquence ; un décalage entre la déclaration d’intention « de performance des entreprises publiques » et leurs performances réelles. La rédaction des rapports et la tenue des colloques ou l’élaboration des lois et décrets n’y changeront rien si les décisions politiques portées par les convictions managériales ne sont pas prises.

  1. Quelques regrets à la lecture du rapport

Quatre regrets sont exprimés ici :

  • L’indifférence vis-à-vis du rôle des conseils d’administration dans le contrôle des entreprises publiques et les responsabilités des différents acteurs dont l’action devrait améliorer la performance des entreprises. On a l’impression que le rapport propose un autre cadre conceptuel ou propose de corriger celui en vigueur sans insister sur ses dysfonctionnements ;
  • Le rapport propose une structuration du MINFI qui combinerait deux divisions pour un meilleur suivi : cette proposition pourrait cacher deux défauts. Le premier défaut est de vouloir réduire la performance des entreprises publiques aux préoccupations budgétaires et ajouter au dispositif de contrôle qui existe déjà, un nouvel autre ; augmentant ainsi la bureaucratie dont l’efficacité n’est pas attestée. Le deuxième défaut est celui de vouloir internaliser une fonction (d’audit budgétaire pour le compte de l’Etat) qui peut être assumée par un cabinet externe de manière ponctuelle. Si la préoccupation de l’émiettement et l’absence de cohérence du dispositif de contrôle des entreprises publiques présentent un problème réel ; la solution proposée ne me semble pas pertinente. La solution n’est pas structurelle mais fonctionnelle. L’Etat peut bien, comme il sait le faire, disposer d’un comité interministériel ad hoc pour commanditer et exploiter un audit budgétaire des entreprises publiques une fois par an ou tous les 2 ou 3 ans ; sans avoir besoin de modifier l’architecture organisationnelle du ministère.
  • Il y a au moins deux propositions dans le rapport qui sont difficiles à mettre en œuvre ; non pas du fait de leur impertinence mais des déviances contextuelles. Il s’agit du respect des mandats des DG, DGA et PCA dont la violation est opérée depuis la loi de 99. Les lois de 2017 héritent de cette maladie congénitale qui ne semble pas préoccuper les autorités en charge de cette question. Le rapport suggère de professionnaliser la fonction d’administrateur des entreprises publiques. Là encore ce serait une peine perdue car une fois formés, rien n’impose qu’on nomme uniquement les détenteurs de ces compétences. La nomination des administrateurs relevant d’un pouvoir discrétionnaire. Pour preuve, il y a actuellement des compétences qui sont ignorées au profit d’autres préférences. Le rapport esquive en réalité un problème politique qui a une incidence sur la performance des entreprises. Il faudra bien « percer le furoncle ! »
  • En définitive, je voudrais regretter que l’analyse du Rapport-FMI, qui est bien détaillé et digeste ; ne se focalise que sur les dimensions budgétaires. J’aurais proposé de compléter cette analyse par une étude plus large qui fasse un état des lieux de la gouvernance des entreprises publiques. Il existe en effet des principes de bonne gouvernance des entreprises publiques qui font consensus et des normes du service public (élaborées par l’ANOR et le SPRA) qui peuvent servir de référentiel pour un état des lieux complet. Nous avons réalisé cet exercice pour l’État du Burundi notamment pour les Institutions Nationales de Qualité (INQ). Nous avons alors combiné les principes de bonne gouvernance des entreprises publiques aux exigences de certaines normes ISO et nous avons réalisé un état des lieux exhaustif de la gouvernance des institutions de l’INQ. Cet exercice a permis de dépasser l’analyse budgétaire et d’identifier les institutions qui présentaient un fort besoin de réforme structurelle. Avec cet exercice, on aurait un tableau de bord complet. Mais une fois encore, ce sont les décisions politiques qui garantiront le succès !

Pr Viviane Ondoua Biwolé

Expert en questions de gouvernance

6 réponses à “COMMENTAIRES DU RAPPORT-FMI SUR LES ENTREPRISES PUBLIQUES : Entre constats préoccupants et propositions discutables”

  1. Pourquoi même aller chercher les conseils au FMI alors que nous avons de la matière grise surplace ? Un complexe du colonisé qui nous habite.

  2. Bonjour Pr.
    Pour avoir été frotté à l’audit interne, je trouve votre analyse fort pertinente. Nos problèmes sont connus, c’est la place prépondérante du politique sur le management des entreprises publiques qui fait problème. Il manque ce courage et une réelle volonté de transformer nos entreprises publiques en véritables moteurs de développement.
    Les entreprises publiques performantes contribueraient à coût sûr à un réel essor économique.
    Merci

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