Contrats de performance État-entreprises et établissements publics au Cameroun. Qu’est-ce qui va changer ?

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Cette question m’a été posée par un journaliste. Son énoncé affirme implicitement qu’il y aura un changement ce qui est vrai. Au moins deux changements formels sont envisagés.

Le premier est que le contenu de la circulaire rappelle les obligations des deux parties contractantes et donc annonce implicitement la fin des « très hautes instructions » à l’endroit des entités publiques. Le contrat retiendra uniquement les obligations des deux parties ; d’une part les entités publiques et d’autre part les ministères (MINFI, MINEPAT et ministère de tutelle).

Le  deuxième est qu’il s’agit, au plan de la forme, d’un nouvel outil qui s’ajoute à ceux déjà disponibles et qui devra se frayer une place digne de son importance entre le plan stratégique et le budget programme triennal (et le budget programme dans sa déclinaison annuelle). Ses outils connexes d’évaluation (rapport à mi-parcours du contrat de performance) devront également se trouver un ancrage dans les outils d’évaluation actuelle : rapport semestriel de performance, rapport annuel de performance et ses différents rapports budgétaires (trois comptabilités de l’entité publique). Il s’agit d’un document écrit et signé, un outil supplémentaire qui s’ajoute à l’arsenal existant dont la mise en œuvre devra s’ancrer dans les outils actuels.

Toutefois, cette question a priori évidente cache à peine les doutes quant à l’atteinte des résultats de performance. Car en effet, au-delà de la forme, la philosophie véhiculée par cet outil n’est pas différente de celle portée par les outils actuels ayant produit les dysfonctionnements décriés dans la circulaire. Certains dysfonctionnements sont d’ailleurs relayés par les instructions récentes du Ministre d’Etat secrétaire général de la présidence de la République (SGPR). C’est en cela que la question m’intéresse : qu’est-ce qui va changer ? Et quelles sont les inquiétudes qui nourrissent la venue de cet outil ?

  1. Les changements portent essentiellement sur la forme : un document écrit et signé

Pour répondre à la question de savoir ce qui va changer, on pourrait chercher à comprendre l’apport substantiel de ce nouvel outil afin de les mauvais résultats décriés. Dans ce cas on peut faire une analyse de texte. Le tableau ci-après s’y emploie. Il analyse les dispositions de la circulaire au dispositif de gouvernance actuel.

Tableau : les innovations des contrats de performance dans les entités publiques camerounaises

Dispositions de la circulaire Qu’est-ce qui est nouveau Commentaires
Au regard de ce qui précède, il se dégage que les EEP doivent atteindre un niveau de performance souhaitable dans leurs secteurs d’activités respectifs et occuper une place centrale dans l’impulsion du programme de développement du chef de l’Etat porté par les politiques publiques mises en œuvre par le

Gouvernement. La question principale est celle de la mise en place des conditions de performance, de rentabilité et/ou d’équilibre, le cas échéant, desdites entités.

Aucune nouveauté par rapport au dispositif actuel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les lois de 2017 et les décrets de 2019 consacrent l’exigence de performance et d’alignement aux politiques publiques.

 

 

 

 

 

Ces conditions doivent passer par la définition d’objectifs clairs et partagés et l’évaluation objective fondée sur la mise en place d’indicateurs de suivi et de résultats pertinents ainsi que la mobilisation des moyens suffisants, adaptés et soutenables. Ces conditions sont des préalables au budget programme déjà en vigueur. Ce sont des préoccupations déjà prise en charge dans le budget programme.
Le contrat de performance s’entend comme un accord formel par lequel l’Etat d’une part et l’établissement public ou l’entreprise publique d’autre part, conviennent des objectifs à atteindre par ces derniers sur une période donnée, des moyens nécessaires, ainsi que des modalités d’évaluation des résultats obtenus conformément au plan de développement/stratégique ou au plan

d’entreprise et aux objectifs des politiques publiques.

Ce qui est nouveau ici c’est le contrat formel mais le contenu est déjà pris en compte dans le dispositif actuel. L’existence d’un document écrit et signé. Il s’agit d’une nouvelle relation contractuelle
Le contrat de performance revêt un caractère synallagmatique, en ce que les parties contractantes ont chacune des obligations réciproques dans sa réalisation. Rien de nouveau c’était déjà le cas dans la réforme actuelle qui décrit bien les rôles des différents acteurs.  
Les objectifs de performance à atteindre peuvent être d’ordre opérationnel,

technique, économique et/ou financier au terme d’un processus défini d’accord

parties. Pour déterminer les objectifs à atteindre, le contrat de performance prend en compte à la fois les cibles pertinentes visées par la politique sectorielle de l’Etat ou de son démembrement concerné et les objectifs apparaissant dans le plan de

développement/stratégique ou le plan d’entreprise de l’entité contractante.

Rien de nouveau Préoccupations prise en compte dans le budget programme qui est un outil participatif et inclusif dans sa démarche de fixation des résultats et d’évaluation.
Dans cette optique, le contrat de performance doit clairement qualifier, quantifier la nature des objectifs et des modalités de leur réalisation. Il doit également conduire à la valorisation des moyens que consent à apporter chacune des parties contractantes pour l’atteinte des résultats escomptés. Rien de nouveau Préoccupations prise en compte dans le budget programme : les résultats sont bien déclinés tenant compte de la « valeur de référence » et de la « valeur cible »
Le type et le nombre d’indicateurs de suivi et de résultat à mettre en place seront spécifiques selon que l’on se trouve dans le secteur non marchand (cas de la plupart des établissements publics) ou dans le secteur marchand (cas des entreprises publiques). Rien de nouveau Préoccupations prise en compte dans le budget programme, dans les lois de 2017 et les décrets de 2019.
Le contrat de performance est co-signé, d’une part, par le président du conseil d’administration de l’établissement public ou de l’entreprise publique et, d’autre part, par le ministre en charge des Finances, le ministre en charge de l’Economie et le ministre de tutelle technique. Nouvelle disposition

Les autres dispositions du contrat de performance de la circulaires sont nouvelles notamment son évaluation, les avenants possibles et renouvellement éventuels. Toutefois, elles ne semblables au contenu des résolutions des conseils d’administration qui sont des actes juridiques d’application immédiate.

Le document écrit et signé par le PCA, les tutelles et le MINEPAT.

 

Il convient de résoudre au préalable les cas où la tutelle est en même temps PCA pour éviter des incohérences managériales et juridiques.

 

Il faudra disposer d’un véritable tableau de bord gouvernemental de suivi des contrats (pour la durée et pour les résultats produits), ce qui me semble un préalable qui n’est pas acquis.

 

  1. De grosses inquiétudes

Cinq principales inquiétudes (non exhaustives) se dégagent de l’analyse de cette circulaire.

  • La signature du contrat par le PCA le rend de fait comptable de la gestion et occasionne un dédoublement de sa fonction. On peut se poser la question de savoir à quel titre le PCA signe le contrat de performance ? Comme celui qui va l’exécuter ou le contrôler ? Dans le premier cas, il s’écarte de ses prérogatives, dans le second, on s’attendrait à ce qu’il signe avec la direction générale un contrat de performance connexe pour en transférer la gestion. Ce qui alourdit la bureaucratie et augmente le nombre d’outils de gestion à manipuler. Car en effet, comme le rappellent les lois de 2017, la direction générale représente l’entreprise partout où besoin est, le PCA n’assume pas cette prérogative.
  • Périodes de négociation de 2022 à 2024 : deux ans pour disposer d’un tableau de bord gouvernemental complet. Le temps requis est consacré à la négociation des contrats alors que des budgets sont déjà votés et depuis 5 ans la réforme est engagée avec tous les outils de performance en vigueur. Pourquoi autant de temps si les outils actuels peuvent servir de base de négociation ?
  • La circulaire du Minfi du 9 mai 2019 qui répartit les entités publiques par catégorie a prévu une évaluation tous les 3 ans avec une possibilité de reclassement comme sanction positive ou punitive avec une incidence sur les salaires des mandataires sociaux. Alors que ce travail était attendu en mai 2022, nous recevons une autre circulaire avec des échéances jusqu’en 2024 sans dire un mot sur l’évaluation qui était attendue. Si ce travail dont les outils me semblent accessibles n’a pas été réalisé qu’est ce qui garantit que ce sont les évaluations des contrats de performance qui le seront ? Le souvenir des feuilles de routes ministérielles n’est pas si lointain, cet outil dont les vertus ont été vantées n’a pas résisté au temps.
  • Les dispositions de la circulaire ne peuvent s’appliquer comme une panacée à toutes les entités publiques, il semble alors impératif de les différencier. Il y a des entités publiques qui ne peuvent faire l’objet de contractualisation (cas des agences de régulation par exemple ou des établissements publics administratifs) qui vont bénéficier des subventions non conditionnelles. Certaines auront des contrats relationnels (moins stricts au plan quantitatifs mais plus portés vers des changements qualitatifs) et certaines seront plus portées vers des contrats exécutoires (notamment les entreprises publiques).
  • Les dispositions de la circulaire semblent apporter une mauvaise solution à un vrai problème. En effet, pour que le contrat de performance joue effectivement son rôle de redressement, il doit adresser les questions de dysfonctionnements notamment celles du choix des dirigeants et des mandataires sociaux, les lourdeurs administratives, la corruption et autres dysfonctionnements managériaux constatés et relayés par la plus haute hiérarchie (le ministre d’Etat Secrétaire Général de la Présidence de la République). Cette réalité indexe les pratiques dans ce domaine qui manquent de visibilités procédurales objectivées et indispensables pour une mise en œuvre efficace des contrats de performance. Dans ce contexte de faible état de droit (du fait du non-respect de la réglementation, de la défiance juridique et de la tolérance), il est à craindre que les contrats de performance institués ne soient qu’un gadget sans fondements anthropologiques convaincants.

Pour conclure mon propos, mon parti pris est sans équivoque, le contrat de performance est un outil de trop, une pâle copie du contrat plan dont la valeur ajoutée n’est pas substantielle. Peut-être répond-il à une contrainte légale ou contractuelle avec un partenaire ? Ou alors est-il conforme à la progressivité de la réforme ? Du moins au plan technique, il est difficile de convaincre qu’il aura un apport particulièrement retentissant. Le sort réservé aux feuilles de routes ministérielles instruites par le Président de la République en 2011 appelle à moins d’enthousiasme.

6 réponses à “Contrats de performance État-entreprises et établissements publics au Cameroun. Qu’est-ce qui va changer ?”

  1. Analyse particulièrement pertinente et instructive. Elle pourrait, à mon humble avis, avantageusement contribuer à la mise en œuvre de la volonté politique affichée, d’améliorer significativement les performances des entreprises et des sociétés publiques camerounaises. Félicitations si l’on peut se le permettre.
    Jean YANGO

  2. Ce qui est embêtant c’est qu’on passe d’une stratégie à une autre sans jamais au préalable faire un bilan de la première. A quoi sert-il de réinventer la roue? Autrement dit à quoi sert-il de changer de stratégie lorsque l’actuelle marche déjà? Et quand même elle ne marcherait pas, à quoi servirait-il de définir une autre stratégie sans au préalable faire un bilan plus ou moins exhaustif de la précédente?
    Cela ressemble à de la navigation à vue.

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