Entre hautes instructions et solidarité gouvernementale

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C’est avec une nostalgie émue que je « re-poste » la présente interview publiée dans le Cameroon Tribune du 1er février 2019 au moment où les « hautes » et « très hautes instructions » sont récurrentes. Cette réalité voile à peine le problème de la solidarité gouvernementale.

Interview publiée dans le quotidien Cameroon Tribune du 1er février 2019

1-  Le président de la République a prescrit au Gouvernement, lors du dernier conseil des ministres, plus de solidarité comme coordination optimale. Quelle lecture en faites-vous?

Avant de répondre à cette question, rappelons que la solidarité gouvernementale ou solidarité ministérielle n’est pas une règle juridique. Il s’agit d’une contrainte politique relevant d’un comportement ou d’une attitude incitant les membres du gouvernement à rester solidaire et comptable des résultats du Gouvernement. A cet égard, les initiatives individuelles sans concertation préalable de manière collégiale mettent en péril la cohésion du gouvernement et ébranle sa solidarité. Par exemple, les accusations d’un collègue ministre face à une contreperformance du gouvernement ou encore la dénonciation publique d’un ministre qui aurait commis des erreurs sont assez illustratifs. Lorsque ce principe de solidarité est violé, les contrevenants sont amenés soit à démissionner soit à être exclus du gouvernement.

Ainsi, parlant de la compétence d’un ministre on dira que ce comportement renvoie au savoir être (la compétence a trois composantes : savoir, savoir-faire et savoir être). Échappant ainsi au droit, l’exigence de solidarité gouvernementale est souvent bravée par les ministres. L’on observe alors que certains privilégient leurs intérêts (politiques, communautaires, affinitaires) avant l’intérêt du Gouvernement surtout à l’approche d’un remaniement ministériel annoncé ou des échéances électorales.

Le rappel de cet impératif par le Président de la République vise à briser ces réalités. Il est sans doute consécutif aux faibles performances enregistrées dans la réalisation d’importants projets (projets structurants, travaux relatifs à la CAN, réformes structurelles) qui sont, entre autres, révélateurs d’une faible solidarité gouvernementale. Bien plus, des divergences supposées et déployées par médias opposés entre les membres du gouvernement est une illustration d’une faible solidarité. Les ministres sont alors soupçonnés (peut-être à tort) de soutenir certains médias dont les actions ponctuelles visent à les blanchir face à certaines contreperformances ou à accuser un autre membre du gouvernement. Dans notre contexte, le respect de la solidarité gouvernementale n’est pas souvent perceptible comme une priorité du chef de l’exécutif ou alors sa réaction se limite à un simple rappel à l’ordre sans véritable sanction. Le rappel du Président de la République semble sonner le glas ! Malheureusement, la solidarité Gouvernementale ne se décrète pas. Il ne s’agit pas d’une instruction, le problème est plus complexe et se résume en : comment mettre l’intérêt général au-dessus des égos individuels ? Le constat des projets non réalisés, des projets qui connaissent un retard, des surfacturations, la corruption, le clientélisme sont autant de maux caractéristiques d’une équipe gouvernementale peu solidaire. Pour moi, l’interpellation du Président s’inscrit dans l’optique de mutualiser et converger les efforts des différents départements ministériels vers un objectif commun : L’amélioration des conditions de vies des Camerounais.

2-  Quand on sait que le gouvernement est chargé de la mise en œuvre de la politique du chef de l’État, qu’est-ce qui peut expliquer qu’il y ait de temps en temps un manque de solidarité (exemple le plus récent étant celui relatif à organisation de la CAN 2019 au Cameroun)?

Plusieurs raisons peuvent expliquer le manque de solidarité gouvernementale. J’en retiens deux pour l’instant. La première est connue de tous les théoriciens du management depuis les travaux d’Adam Smith, de Taylor et de Williamson. Ils reconnaissent que les individus sont principalement mus par leurs intérêts personnels. La recherche du gain est consubstantielle à toute action humaine. Les décideurs publics, les décideurs politiques et les ministres n’échappent à cette réalité. D’ailleurs la théorie des choix publics qui s’intéresse à l’analyse des décisions politiques avec les outils économiques révèlent que la recherche de l’intérêt général est un leurre. Tous les acteurs fussent-ils engagés à œuvrer pour l’intérêt général ont le réflexe de l’homoéconomicus. Ils se concentrent sur leurs intérêts individuels voire égoïstes. A titre d’illustration, chaque fois qu’un ministre est nommé ou un député est élu, son village connait des transformations visibles ; routes aménagées, électricité, eau, salles de classe etc. Ces comportements sont révélateurs de cette attitude. L’objectif est alors  de s’aménager un électorat favorable dont ils peuvent se prévaloir au moment des échéances électorales. Tout se passe alors comme si le seul résultat auquel le ministre tient est d’assurer au Président de la République une solution électorale (100%) dans son village, son département ou sa région d’origine. Au point où, les résultats attendus par la population sont inféodés au prétendu résultat électoral. Et pourtant, il existe bien une relation directe entre la satisfaction des populations et leur vote au Président de la République à travers les actions du Gouvernement que les ministres incarnent.

La deuxième raison qui peut expliquer cette faible solidarité est que ce comportement n’est pas réprimé. N’étant pas une régulation juridique, on s’attendrait à ce que la solidarité gouvernementale soit une pratique voire une contrainte politique. A ce titre elle assumerait bien sa contrainte et les contrevenants se verraient exclus du Gouvernement. C’est donc un challenge pour le chef du gouvernement qui au-delà de faire des rappels à l’ordre, devrait véritablement faire prévaloir son autorité afin de garantir cette solidarité. A cet effet, la solidarité gouvernementale ne devrait plus se limiter à une contrainte mais devrait être érigée en une valeur indispensable pour l’adhésion et le maintien dans un gouvernement.

3 – En tant que professeur de management, quels conseils pourriez-vous donner pour optimiser la coordination gouvernementale?

La solidarité gouvernementale ne se décrète pas, elle n’est pas une simple instruction. Elle requiert quelques préalables. D’abord, les décisions au sein du Gouvernement sont connues de tous et prises de manière collégiale. Le mode de prise de décision est donc une condition à l’adhésion de tous les membres du gouvernement.

Ensuite, l’existence d’une autorité qui assure la coordination gouvernementale, responsable de cette solidarité. Il s’agit du Premier ministre, Chef de l’exécutif. Il devrait donc assurer la coordination suivant deux approches : l’approche normative (mise en place et respect scrupuleux des normes/attitudes/comportements retenus et sanctions en cas de violation de ces normes) et l’approche positive (style de leadership et de communication efficace amenant les membres à agir dans un sens indiqué). En fait il y a un seul maître à bord qui dirige l’action et sanctionne les contrevenants. Ce qui pose fondamentalement la question de l’autorité qui nomme et sanctionne les ministres. Elle est seule habilitée à assurer une coordination efficace. Ce pouvoir conféré au Premier Ministre ne doit pas être implicite ! On pourrait alors imaginer qu’il y ait peu d’ingérences de la Présidence de la République dans les activités des ministères car assumer par le Premier Ministre. Pour cela, il faut que le Premier Ministre soit parfaitement au courant de ce que font tous ses ministres, en cas de désaccords, il prend toutes les dispositions pour réorienter l’action et à l’extrême il l’obligerait à quitter le Gouvernement. Il faut que chaque ministre sache ce que fait son collègue : obligation de transparence, de collaboration et d’assistance. En effet, l’action gouvernementale est liée et les résultats s’obtiennent grâce à la collaboration de tous. Donc, un fonctionnement cloisonné conduit à l’échec. Le lieu privilégié du partage d’information et de la prise de décision collégiale est le conseil de cabinet.

Enfin, le Premier Ministre devra répondre à la question de savoir comment faire converger les intelligences aussi multiples que variées dont les ministres sont dépositaires vers l’intérêt général. Son leadership est donc fortement interpellé. En plus des décisions collégiales et le partage d’informations évoquées plus haut, l’une des tâches délicates du Premier Ministre est de donner du sens à l’action gouvernementale et en assurer la cohérence. Tout employé a besoin de sens pour s’impliquer. A l’observation, le Premier Ministre sera certainement appelé, dans son rôle de coordination à réduire les redondances, les émiettements d’actions et créer des affinités entre les différentes réformes pour la plupart exécutées par les ministères dans l’intimité de leurs convictions. La solidarité veut également dire qu’il y a des interdépendances entre les différents acteurs.

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