Affaire CANA Bois SARL et Port Autonome de Douala. Entre exigences comptables et nécessité de protéger les dirigeants publics

Il est urgent d’améliorer le fonctionnement du système de gouvernance des entités publiques au Cameroun. L’affaire CANA Bois SARL contre le Port Autonome de Douala (PAD), en plus des précédents scandales (ART, MATGENIE, CAMAIR-CO) nous conforte dans cette recommandation. En effet, si on peut comprendre que par souci de conformité aux dispositions légales le Trésorier Payeur Général de Douala hésite à payer les chèques tirés par le PAD pour le règlement des amandes et dépens infligés à la personne physique du Directeur général, il est inquiétant de constater que le DG du PAD, agissant au nom de l’institution qu’il dirige, ne soit pas en mesure d’être protégé par le dispositif de gouvernance actuel.

Par respect pour les personnes impliquées, pour qui j’ai de la considération au regard de la lourde charge de gestion qu’elles assument et consciente de la délicatesse de cette charge, je me permets de faire une analyse des faits sans interpeller les personnes.

La motivation de cette réflexion fait suite aux débats télévisés et des avis des amis (avocat et procureur) recueillis sur la question dans le cadre d’un échange virtuel. Ceux-ci trouvent que le TPG aurait dû payer les chèques transmis car il n’est pas juge de l’opportunité : « Ce n’est pas son rôle de vérifier ces éléments. La faute de gestion est auditée et actée par une autorité judiciaire au terme d’un processus. Lui, dès qu’il a le chèque, il paye d’abord. Le principe en droit est connu. Qui paie mal paie deux fois. Donc si la justice plus tard dit que le chèque ne devait pas être émis, on demande un nouveau chèque émis par la bonne personne. C’est tout !». L’autre argument avancé est que « s’il s’agit d’une faute de fonction, c’est normal que le PAD paie à sa place ». Avant que le débat ne devienne politique (comme on semble vouloir nous le faire savoir), il me plaît de revenir sur la gouvernance des entreprises publiques qui fait actuellement l’objet d’une réforme et d’un encadrement précis.

Commençons par quelques préalables. On ne peut ignorer les nombreuses violations des textes dans ce domaine : violation de la durée des mandats, violation des incompatibilités entre DG et PCA (PAD et ANAFOR par exemple), le cas de l’incompatibilité managérial entre le cumul de fonction de PCA et de tutelle technique dans plusieurs cas). Ces violations pourraient en effet mettre les gestionnaires en difficulté. A titre d’illustration, les actes pris par un responsable frappé d’illégitimité pourraient fragiliser les décisions exécutées par les responsables agissant sous son autorité.

Vous l’aurez compris, mon ambition n’est pas de m’opposer aux arguments de droit présentés par mes amis juristes, mais d’insister sur la nécessité d’améliorer le système de gouvernance des entités publiques dont les vides juridiques et le fonctionnement cloisonné des instances exposent les dirigeants publics et pourraient constituer des freins à la performance. Deux points sont alors abordés : l’insuffisance du contrôle de régularité des dirigeants publics et la protection de ceux-ci dans le cadre d’un dispositif de gouvernance efficace.

  1. Le contrôle de régularité nécessaire mais pas suffisant dans le cas d’espèce

Pour le cas en débat, il y’a déjà lieu de reconnaître, au regard des documents disponibles, que le TPG n’a nullement apprécié l’opportunité de la dépense comme le prétendent certains amis cités supra. En effet, à la lecture des textes qui encadrent la gestion des entités publiques (au total 11 textes peuvent être ciblés) et en rapport avec le décret n°2013/159 du 15 mai 2013 fixant le régime particulier du contrôle administratif des finances publiques, le TPG, comptable public, est juge de la régularité des recettes et des dépenses. L’article 1 al 1 de ce décret 2013/159 « fixe le régime particulier du contrôle administratif des finances publiques. Il s’applique à l’Etat, aux établissements publics administratifs, aux collectivités territoriales décentralisées, aux entreprises des secteurs public et parapublic, ainsi qu’aux entités privées ayant reçu une subvention, un aval, une caution ou une concession de l’Etat ou de toute autre personne morale de droit public ». L’article 2 définit le contrôle administratif, le contrôle de régularité, le contrôle de performance, et l’audit. L’article 8 du même texte prévoit que pour la préservation de la régularité des opérations et des actes juridiques et comptables, le contrôle consiste à vérifier la conformité à la règlementation des projets d’actes juridiques y afférents ; la régularité de toutes opérations budgétaires et financières au moment du paiement. Les articles 9 et 10 établissent bel et bien des cas possibles d’irrégularité des recettes, comme celles querellées ici.

L’article 15 al 1 prévoit qu’en cas d’irrégularité constatée, lors des contrôles a priori visés dans le présent décret, l’autorité de contrôle suspend le visa ou le paiement selon le cas, et notifie son rejet motivé à l’ordonnateur. En l’espèce, le TPG a effectivement, en sa qualité de juge de la régularité, rejeté les recettes jugées irrégulières, objets des chèques à lui transmis  par le Greffier en chef du tribunal, avec une motivation. Selon lui, l’extrait du jugement transmis et qui vaut titre de perception, n’est nullement opposable à la partie versante tireur des chèques (qu’il y’a lieu de bien distinguer au remettant desdits effets) au nom de qui les écritures comptables devaient être passées. Le décret 2013/159 suscité reconnaît ainsi au comptable public, la qualité de juge de la régularité des recettes. Violer ses dispositions exposerait le TPG, dont la responsabilité personnelle et pécuniaire peut être engagée au regard des articles 43 et suivants du décret évoqué dans sa correspondance de rejet.

Face à cette situation, les juristes évoquent le vide juridique qui entoure l’application de la responsabilité pénale de la personne morale pourtant prévu dans le code pénal. D’où la nécessité de prendre des dispositions pour améliorer le système de gouvernance des entités publiques et en attendant, de protéger les dirigeants publics.

2. Nécessité d’améliorer le système de gouvernance des entités publiques

Plusieurs dirigeants sont actuellement condamnés pour des actes pris dans le cadre de leurs fonctions et parfois en conformité avec les résolutions du Conseil d’administration. S’il est admis que les résolutions du Conseil ne devraient pas être contraires à la loi, il peut arriver que certaines décisions du Conseil ou de la Direction générales créent un préjudice à la société. Pour le cas qui nous intéresse et si nous nous fions au communiqué de presse de la cellule de communication du PAD du 09 août 2021, il apparaît que la faute indexée est le fait d’un acte de fonction du DG.

Dans ce cas, le professionnalisme aurait commandé que le TPG, s’il avait obtenu les clarifications pourtant sollicitées par lui auprès du tribunal, paie les chèques envoyés au nom du PAD en adjoignant au dossier le jugement prononcé qui établit sans équivoque que le DG agissait au nom et pour le compte du PAD. Il aurait par ailleurs joint la résolution dite du Conseil d’administration (CA) donnant quitus au DG de payer les amendes sur le compte du PAD, mais laquelle résolution ne lui aurait malheureusement pas été présentée ou transmise ni par le Tribunal ni par le PAD. Sinon est-il possible que le DG puisse disposer de cette somme ? Et même si c’est le cas devrait il payer de sa poche pour un acte commis au nom de sa charge professionnelle ?

Les juristes semblent nous convaincre de la nécessité de disposer d’un cadre formel et précis de l’application de la responsabilité pénale des personnes morales, mais en attendant que doivent faire les dirigeants publics ?

Trois préoccupations découlent de cette interrogation. La première est que le dispositif de gouvernance doit être amélioré pour éviter d’exposer les dirigeants publics aux décisions de justice qui entament leur dignité voire leur liberté. La seconde est la nécessité de disposer d’encadrements permettant aux différents acteurs judiciaires et de gouvernance des entités publiques de ne pas fonctionner en vase clos. Les décisions rendues dans les juridictions doivent tenir compte du contexte d’application des textes aussi bien dans le code pénal que dans la gouvernance des entités publiques. La troisième préoccupation est de pouvoir disposer d’une instance d’arbitrage prompte à trancher des cas de controverses entre les acteurs impliqués.

Par ailleurs, les infractions convoquées par le jugement concerne « la concussion et l’abus de fonction » détachables de la fonction de DG. On pourrait donc aussi interroger les fautes indexées dont les énoncés peuvent concerner la responsabilité individuelle du dirigeant. Dans ce cas, il serait difficile d’évoquer l’action récursoire (qui commande que l’administration supporte la charge exigée avant de s’accorder le devoir de la répercuter par la suite à l’agent). A bien des égards, la fonction de gestion peut engager la responsabilité civile et pénale des dirigeants sociaux, du PCA et des membres du Conseil d’Administration des entreprises publiques. Le cas en débat ici expose les limites du système de gouvernance des entités publiques. En l’espèce, le mutisme des tutelles techniques et financière du PAD est préjudiciable au PAD. De même, la faible collaboration de la juridiction (TPI de Douala Bonanjo) pour clarifier cette situation est dommageable aussi bien pour la personne du DG que pour l’institution dont il a la charge.

Dans la logique de l’amélioration continue, il conviendrait de tenir compte des cas de dysfonctionnements comme ceux-ci pour compléter le dispositif de gouvernance des entités publiques. Les cas de conflits entre DG et PCA, entre PCA et tutelle ou des cas plus graves comme ceux de l’incendie de la SONARA et ses engagements avec les tiers, le cas de CANA Bois et du PAD qui révèlent un contentieux avec un tiers ou encore l’arrimage des textes aux exigences sous régionales (directives CEMAC) et même régionales et internationales exigent une ingénierie proactive du cadre institutionnel de la gouvernance des entités publiques.

3 réponses sur “Affaire CANA Bois SARL et Port Autonome de Douala. Entre exigences comptables et nécessité de protéger les dirigeants publics”

  1. Bonsoir Pr, votre réflexion est digne d’intérêt comme écrivait Karl Max dans son livre l’idéologie allemande: « les faits suggèrent l’idée, l’idée dirige l’expérience et l’expérience juge l’idée ».
    Au-delà du renforcement de la gouvernance publique par des textes, il faut bien reconnaître que le secteur public avec ses démembrements souffre de la non prise en compte des canons de management moderne: savoir agir sur un environnement externe turbulent et savoir s’entourer dans son environnement interne.
    La nécessité de doter les entités publiques des fonctions contrôle de gestion et d’audit interne avec des occupants de poste ayant le profil requis peut bien encadrer les actes pris par les dirigeants publics.

  2. Juridisme, charabia, absconsité. Ce langage juridico administratif et ce fatras de textes compliqués, qui se marchént en plus sur les pieds, confisquent le débat et favorise précisément ces coups tordus qui se multiplient sous nos, pour les plus grandes honte et perditions de notre pays.

Laisser un commentaire