Comment restaurer la confiance entre les citoyens et les Etats ?

 Ce mardi 9 novembre 2021, la Banque mondiale a organisé un débat autour du leadership des pays d’Afrique Centrale et de l’Ouest en rapport avec la défiance des populations africaines envers les institutions étatiques. Sur 22 pays de ces deux zones, 11 soit 50% connaissent des tensions sociales importantes. Les 11 autres, bien que présentant une physionomie d’apparence calme, ils cachent une vulnérabilité potentielle.

« En Afrique de l’Ouest et centrale, la défiance réciproque entre l’État et les populations fragilise la cohésion nationale et nuit à l’efficacité des politiques publiques. Déjà, 73 % de la population de la région vit dans des pays dits fragiles et/ou en conflit. Les citoyens doutent de la capacité des Etats à leur offrir les conditions leur permettant de se réaliser : emploi, sécurité, services publics, justice, etc. Pourtant, la région peut compter sur de solides atouts : son patrimoine culturel, ses ressources naturelles et surtout son capital humain. Mais comment en tirer le meilleur parti ? Par quel moyen rétablir le lien de confiance entre citoyens et institutions ? Et comment construire une croissance durable à l’heure où l’Afrique vient de connaître en 2020 sa première année de récession depuis 25 ans ? » (Note conceptuelle- Banque mondiale, 2021)

La question centrale est de savoir : comment restaurer la confiance entre les citoyens et les Etats ?

J’ai participé à ce webinaire et la trame de mon intervention s’est appuyée sur les réponses aux questions ci-après.

  • Pr Viviane Ondoua Biwolé, vous êtes promotrice du cabinet de conseil en management OBIV Solutions, vous avez évalué plusieurs réformes au Cameroun et dans d’autres pays africains, pourrez-vous indiquer ces réformes, en quoi elles ont consisté ?

J’ai réalisé plusieurs évaluations de réformes principalement de politiques publiques. Sans être exhaustive, les plus récentes et les plus significatives sont :

Libellés

Objectifs

Année et Pays

L’état des lieux de la gouvernance dans les institutions de l’infrastructure qualité Réaliser l’état des lieux de la gouvernance dans les  Institutions Nationales Qualité (INQ) au Burundi. L’objectif est alors de révéler les forces et les faiblesses de ces institutions et de formuler des recommandations conséquentes. 2021

Burundi

Etat des lieux du comportement « business oriented » des administrations et agences L’objectif du présent rapport est de réaliser un état des lieux du comportement « business oriented » des administrations (16) et des agences (12) qui transigent avec le secteur privé. 2021

Cameroun (GICAM)

Décentralisation : étude pour la prise en compte au mieux des besoins des populations consignés dans les Plans Communaux de Développement. Identifier les causes de la faible prise en compte des priorités des populations dans les projets communaux 2020-2021

Cameroun (MINEPAT)

Appui à la validation de la stratégie de la gouvernance en vue de la rédaction du document de stratégie pour le développement (SND30) Valider le diagnostic et les orientations stratégiques pour 2020-2030 2020

Cameroun (MINEPAT)

La conduite des ateliers de diagnostic participatif des besoins de renforcement des capacités des acteurs de l’état civil Evaluer les besoins en formation pour la mise en œuvre de la stratégie de l’état civil 2019

Cameroun (GIZ)

Rédaction du mémorandum économique du Cameroun

Analyse des réformes du volet gouvernance

Evaluer la gouvernance administrative au Cameroun 2017

Cameroun (Banque mondiale)

L’état des lieux des pratiques en matière d’inspection des établissements classés dangereux, incommodes ou insalubres L’objectif visé est de réaliser l’état des lieux des pratiques afin de doter le Comité National des Inspections d’outils nécessaires à l’efficacité des inspections notamment, un guide conjoint et une nomenclature harmonisée. 2016

Cameroun

Partenariat Economique entre l’Union Européenne(UE) et l’Afrique Centrale (PASAPE)

Evaluation de l’évolution de la masse salariale de l’administration publique camerounaise pour la période 20210-2015 Analyser l’évolution de la masse salariale de l’administration camerounaise pour la période 2010-2015 2016

Cameroun (Banque mondiale)

Evaluation du DSCE/ Stratégie de la Gouvernance et de la gestion stratégique de l’Etat Evaluer les effets de la mise en œuvre de la stratégie gouvernance pour la période 2010-2015 2015

Cameroun (Services du Premier Ministre)

Evaluation de la réforme des finances publiques (introduction du budget programme) dans les pays d’Afrique centrale et de l’Ouest Evaluer les effets de la mise en œuvre du budget programme dans les pays d’Afrique centrale et de l’Ouest 2007-2010

Mali, Burundi, Côte D’Ivoire, Congo Brazzaville, Cameroun

(Union Africaine commission ST8)

  • Quelles sont les leçons à tirer de vos évaluations

Les réformes sont des processus qui prennent du temps. Pour des transformations structurelles il faut attendre 10 à 15 ans. Ce sont des processus qui exigent une cohérence et une discipline dans la durée,  ce qui n’est pas souvent le cas au regard des chocs exogènes, des conflits post électoraux ou des dysfonctionnements au niveau de la gouvernance des programmes engagés. Le principal enjeu réside donc dans la capacité à entrainer toutes les principales parties prenantes (administration publique, secteur privé, société civile) dans la direction souhaitée. Il s’agit d’une question du leadership, engageant l’adhésion des parties prenantes stratégique au moins, au meilleurs cas toutes les parties prenantes.

  • Quid de l’état de la confiance entre Etat et peuple Camerounais ?

Il y a une crise de leadership politique évidente. Elle est entretenue par plusieurs phénomènes : les réformes non abouties (espoirs perdus) ; les inégalités diverses ; la perception d’une répartition inéquitable de la croissance produite ; la pauvreté grandissante et la rareté des ressources qui en découle contribuent à restreindre ou à faire disparaître la confiance du peuple vis-à-vis de l’État. Ceci s’observe par des colères sociales récurrentes et les revendications au bien être élémentaire (accès à l’eau, à l’électricité, aux soins de santé décents, à l’éducation des enfants, au logement décent,  etc…) les manifestations du type « hisser des barrages pour empêcher le déplacement des autorités » ou encore « le démantèlement des ponts pour exiger le bitumage de la route » sont quelques illustrations des colères de la population de certaines localités.

  • Quels enseignements tirés de ces réformes

Il me semble que le succès des réformes au Cameroun est conditionné par trois exigences : la capacité de traduire les programmes en projets et action et de maintenir la discipline conséquente- l’adhésion des autres parties prenantes (société civile et secteur privé), l’État ne peut pas engager des réformes seul, ces entités jouent des rôles de relais et de contrôle de l’action gouvernementale (l’état actuel des instances de gouvernance, notamment l’exécutif, le législatif et dans une certaine mesure le judicaire, détenues par le parti au pouvoir ne facilite pas la sanction des dérives éventuelles)- le respect des échéances des projets.

  • Quelles sont les difficultés rencontrées…?

La principale difficulté concerne la capacité à ajuster les réformes au regard des contraintes rencontrées en cours d’exécution. L’agilité serait alors l’une des recommandations urgentes avec comme principal levier, la qualité de la coordination au niveau de la mise en œuvre des réformes. Il faut alors agir sur les ressources humaines (qui doivent disposer de cerveaux agiles) plus que sur les procédures.

  • L’adhésion aux politiques publiques est-elle une condition sine qua none d’une croissance durable ?

 C’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Une fois toutes les parties prenantes impliquées, il faudra assurer une bonne coordination et la reddition des comptes. L’institutionnalisation de l’évaluation (la vraie !) est donc un enjeu important pour restaurer le leadership politique des gouvernants.

Responsabilité, transparence, participation aux processus décisionnels… : comment rétablir la confiance entre les Etats et leurs populations ?

 L’environnement Camerounais dispose de plusieurs outils, instances et acteurs impliqués dans les différents processus décisionnels. Deux leviers peuvent être nécessaires : la sanction (positive et punitive) et la transparence. La participation aux processus décisionnels est un levier à actionner mais pas de manière anecdotique. Plusieurs rencontres sont souvent organisées impliquant les parties prenantes mais ces dernières ont souvent l’impression que les décisions appliquées ne tiennent pas compte de leurs avis. A titre d’exemple, le Groupement Inter patronal du Cameroun (GICAM) nous a confié lors d’un entretien qu’il a été convié à 75 rencontres en deux mois avec l’administration publique mais aucun de leurs avis n’a été pris en compte dans les décisions finales. Ce qui pose le problème de l’importance de ces rencontres et de leur impact.

Les plateformes de concertation sont alors considérées comme des prolongements de la bureaucratie administrative. Il conviendrait par conséquent de disposer d’un mécanisme de réédition des comptes qui mette l’accent sur la façon dont les avis des parties prenantes sont pris en compte dans les processus décisionnels.

 Insertion professionnelle : comment créer davantage d’opportunités économiques ?

 A mon avis, le problème de l’insertion professionnelle est corrélé à au moins trois phénomènes : aux curricula de formation (parfois calqués sur les modèles standards et peu collés aux besoins locaux) ; à la faible digitalisation (les jeunes ne tirent pas encore avantage des opportunités du digital) : les inégalités dans la répartition des fruits de la croissance. La lutte contre les inégalités est donc un enjeu. Dans cette veine, la mise en œuvre efficace de la décentralisation pourrait être un levier important en ce qu’il facilitera les solutions locales et plus adaptées aux préoccupations à la base. La centralisation semble présenter plusieurs limites.

Par ailleurs, les conditions de précarité et de pauvreté ne sont pas propices à l’insertion professionnelle. Cette dernière va donc dépendre de la capacité de l’État à exécuter convenablement les politiques publiques et à convenir d’une équité viable dans la redistribution de la croissance.

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