Gabegie dans les entreprises publiques. Plus de 28 milliards de francs CFA perdus du fait de la contreperformance des entreprises publiques !

Au moins 28 481 695 465 de francs CFA, c’est le minimum[1] de pertes générées dont 22 455 320 465 de baisse de chiffre d’affaires de 2019 à 2020 et 6 026 375 000 de rémunérations régulièrement versées aux dirigeants et membres des organes sociaux des 12 entreprises et établissements publics qui ont régressé dans le classement du 3 janvier 2023 publié par le ministère des finances. Concernant les rémunérations versées, certains nous diront que « c’est normal qu’ils soient rémunérés, ils ont travaillé ». C’est vrai,  sauf qu’ils ont mal travaillé. La rémunération offerte aux dirigeants et administrateurs est une incitation qui devrait assurer la performance de l’entreprise. Aucune entreprise ne souhaiterait payer des salaires pour faire des pertes !

La présente réflexion expose les pertes induites par les 12 entités qui ont régressé dans le classement du MINFI. Elle rappelle dans un premier temps les 6 entreprises et établissements publics concernés et pour chacun les pertes cumulées (pour les rémunérations). Une analyse de la baisse du Chiffre d’affaires (de 2019 à 2020) est également présentée. Dans un deuxième moment, elle esquisse des sanctions éventuelles à envisager. Cet exercice s’aligne à l’exigence de redevabilité et de transparence des entreprises publiques. Les dirigeants publics devraient être comptables des performances des entreprises dont ils ont la charge, rendre compte de leur gestion et être sanctionnés positivement et négativement selon les cas.

I. Pertes induites par la contreperformance des entités publiques

Les pertes concernent les salaires versés et la dépréciation du chiffre d’affaires des entités publiques. Nous avons retenu le chiffre d’affaire puisque c’est le critère utilisé par le ministère des finances pour réaliser le classement des entreprises et établissements publics.

I.1 Les rémunérations versées aux dirigeants des entités publiques qui ont régressé

Les décrets 321 et 322 du 19 juin 2019 précisent les rémunérations (salaires, frais de session et avantages des dirigeants sociaux). Avant 2019, les rémunérations n’étaient pas encadrées par un texte juridique. Les Conseils d’administration assuraient cette responsabilité. Pour plusieurs praticiens, la régulation qui intervient en 2019 harmonise les rémunérations par catégorie et nivelle pour la plupart les rémunérations vers le bas, contrairement à ce qui était appliqué. Pour éviter des approximations dans les calculs, nous avons retenu les rémunérations de 2019 comme référence et nous avons estimé le cumul des rétributions sur 5 ans de 2017 à 2022 ;  puisque les dirigeants concernés étaient déjà en poste en 2017 lors de l’initiative de la réforme des entités publiques.

L’annexe 1 présente les salaires et avantages des DG, DGA et PCA. L’annexe 2 rappelle les frais de sessions par catégorie, pour les entreprises et les établissements publics. En ce qui concerne les analyses, pour les DG, DGA et PCA seules les indemnités de logement, les allocations d’ameublement et d’équipement et les indemnités de congés annuels ont été prises en compte dans les calculs. Les autres avantages ne sont pas comptabilisés au regard de leurs disparités. Il s’agit : des véhicules de fonction, des honoraires pour les gardiens de jour et de nuit, de la prise en charge médicale, des frais de mission, des indemnités annuelles de fonction, des primes de résultats, des allocations carburant, eau/électricité, et domesticité, du téléphone, des indemnités de représentation, des indemnités de responsabilité et des frais pour les hôtels particuliers.

I.1.1 Pour les entreprises publiques

Il ressort du tableau 1 ci-dessous qu’au total 4 067 000 000 de francs CFA ont été servis aux DG, DGA, PCA et membres du Conseil d’administration de 2017 à 2022 alors qu’ils ont pris des décisions qui ont déprécié la valeur de l’entreprise. Les rémunérations des DG, DGA et PCA représentent 82% de ce montant et 18 % représentent la rémunération de l’ensemble des membres du Conseil d’Administration.

Tableau 1 : Rémunérations servies aux dirigeants des 6 entreprises qui ont régressé

Noms de l’entreprise Salaire DG, DGA et PCA en FCFA (sur 5 ans) Avantages DG, DGA et PCA en FCFA (sur 5 ans) Frais de session de tous les membres du CA en FCFA (sur 5 ans) Total
ALUCAM (catégorie 1) 750 000 000 242 000 000 180 000 000 1 172 000 000
CAMAIR-Co (catégorie 3) 390 000 000 121 000 000 120 000 000 631 000 000
CICAM S.A

(catégorie 3)

390 000 000 121 000 000 120 000 000 631 000 000
CFC

(catégorie 3)

390 000 000 121 000 000 120 000 000 631 000 000
CNIC

(Catégorie 4)

306 000 000 99 000 000 96 000 000 520 200 000
PPPlc (catégorie 4) 306 000 000 99 000 000 96 000 000 501 000 000
Total 2 532 000 000 803 000 000 732 000 000 4 067 000 000

Source (étude, 2023)

I.1.2 Pour les établissements publics

Il ressort du tableau 2 ci-dessous qu’au total 1 959 375 000 de francs CFA ont été servis aux DG, DGA, PCA et membres du Conseil d’administration de 2017 à 2022 alors qu’ils ont pris des décisions qui ont déprécié la valeur de l’établissement public. Les rémunérations des DG, DGA et PCA représentent 80% de ce montant et 20% représentent la rémunération de l’ensemble des membres du Conseil d’Administration.

Tableau 2 : Rémunérations servies aux dirigeants des 6 établissements qui ont régressé

Noms de l’établissement public Salaire DG, DGA et PCA (sur 5 ans Avantages DG, DGA et PCA Frais de session de tous les membres du CA sur 5 ans Total
CENAME (catégorie 3) 246 000 000 77 000 000 72 000 000 395 000 000
FODECC (catégorie 3) 246 000 000 77 000 000 72 000 000 395 000 000
FNE (catégorie 3) 246 000 000 77 000 000 72 000 000 395 000 000
Centre International de Référence Chantal BIYA (Catégorie 4) 180 000 000 18 125 000 60 000 000 258 125 000
IRAD (catégorie 4) 180 000 000 18 125 000 60 000 000 258 125 000
SODECAO (catégorie 4) 180 000 000 18 125 000 60 000 000 258 125 000
Total 1 278 000 000 285 375 000 396 000 000 1 959 375 000

Source (étude, 2023)

Ces rémunérations peuvent être considérées comme des pertes pour l’Etat en plus du chiffre d’affaires qui a baissé pour chaque entreprise.

Il convient néanmoins de noter qu’en dehors d’ALUCAM et le Pamol Plantations (PPPlc) qui ont subi des chocs exogènes importants, les contreperformances des  autres entités publiques sont le fait des mécanismes internes. Si les dirigeants sont maintenus à ces postes, il est fort possible que les contreperformances soient encore au rendez-vous. Il est urgent d’arrêter la saignée ! C’est ce qui justifie le point ci-après sur les sanctions et suggestions de redressement urgentes.

I.2 Une analyse de la baisse du Chiffre d’affaires (de 2019 à 2020)

Le rapport de la CTR de 2020 sur la situation des entreprises et établissements publics indique les montants du chiffre d’affaires (CA) en 2019 et 2020. Les informations disponibles pour les 12 entités publiques qui nous intéressent sont présentées dans le tableau ci-après.

Tableau 3 : Baisse du CA des entités publiques qui ont régressé

Entités publiques CA 2019 CA 2020 Ecarts
Alucam 87 786 623 271 80 048 227 257 7 738 396 014
Camair Co 19 784 623 879 10 664 193 219 9 120 430 660
CICAM SA 10 042 047 469 7 409 163 689 2 632 883 780
CFC Non défini Non défini Non défini
CNIC 4 627 937 078 3 560 606 000 1 067 331 078
PPPlc      47 291 925  1 197 118 619 Ecart positif qui s’est certainement dégradé entre 2020 et 2022 pour que l’entreprise régresse dans le classement.

Décision : pas comptabilisé parmi les pertes comme pour les autres entreprises

CENAME 6 117 860 988 4 221 582 055 1 896 278 933
FODDEC Non défini Non défini Non défini
FNE Non défini Non défini Non défini
CIRCB Non défini Non défini Non défini
IRAD Non défini Non défini Non défini
SODECAO Non défini Non défini Non défini
Total de pertes 22 455 320 465

Source (rapport CTR 2020)

Il ressort du tableau que les pertes s’élèvent à au moins  22 455 320 465 de francs CFA. Les données ne concernent que 5 des 12 entités ciblées dans la présente analyse. Les  7 autres ne sont pas disponibles dans le rapport de la Commission Technique de Réhabilitation (CTR) de 2020 sur la situation des entreprises et établissements publics.

II. Sanctions et suggestions de redressement urgentes

La contreperformance doit être sanctionnée. Deux types de sanctions sont envisageables.

II.1 Sanctions à appliquer aux dirigeants

Deux sanctions sont envisageables. Une radicale, remplacer l’ensemble des dirigeants dont l’action collective n’est pas efficace. En effet, la répartition des rôles des acteurs sociaux laissent apparaître des responsabilités distinctes claires mais dont l’effectivité exige une collaboration franche. L’un des déterminants de la performance dans ce cas est la cohérence dans l’action et la collaboration efficace entre les différents acteurs. C’est l’occasion de remplacer tous les PCA et membres du Conseil d’administration dont le mandat arrive à échéance en juillet 2023 (6 ans). Ce serait alors un départ mérité !

La deuxième sanction plus « lâche » est d’appliquer simplement les dispositions du décret qui constatent la baisse des rémunérations des dirigeants et membres du conseil d’administration dont les mandats sont encore valides.

II.2 Suggestions de redressement urgent

En ce qui concerne le redressement, deux cas de figure se présentent : les entreprises qui connaissent des chocs exogènes et celles qui sont confrontées aux chocs endogènes.

Pour la première catégorie notamment ALUCAM et PPPlc l’Etat pourrait envisager un appui spécifique pour relancer la production ou pour le cas d’ALUCAM, ouvrir le capital.

Pour la deuxième catégorie confrontés aux préoccupations endogènes, deux options sont envisageables : (1) un accompagnement peut être envisagé après un audit. Cet accompagnement peut être fait par un cabinet ou par l’Etat en fonction des moyens disponibles ; (2) signer des contrats de performance avec des contraintes dirimantes. On s’attendrait alors à ce que ces entreprises soient prioritaires dans la signature de ces contrats de performance. Mais au préalable, il est urgent de corriger, pour toutes les entreprises et établissements publics, l’incohérence entretenue avec le PCA qui est en même temps la tutelle technique (entre autres la SIC, le FEICOM, la CRTV etc…). C’est une situation incestueuse improductive.

Pour conclure, le classement des entreprises et établissements publics publié le 3 janvier 2023 offre l’opportunité de constater que les dirigeants de 6 entreprises et 6 établissements publics ont pris des décisions qui ont déprécié les entités et ont fait perdre à l’Etat plus de 6 milliards versés pour leurs rémunérations. Ce triste constat a des conséquences pour les entreprises (dont la valeur a été dépréciée), pour les dirigeants (dont les rémunérations vont baisser), pour la société entière (contribuables et bénéficiaires de ces entreprises) et pour l’Etat qui est fragilisé face à ses engagements au FMI. Il est donc urgent d’agir pour éviter que les pertes se perpétuent indéfiniment. La présente réflexion suggère deux solutions : les sanctions et le redressement.

[1] Les données relatives au chiffre d’affaires de toutes les entités publiques ne sont pas disponibles et tous les avantages des dirigeants ne sont pas comptabilisés du fait de la grande disparité de certains d’entre eux.

Annexes :

Source : calculs effectués à partir des dispositions des décrets 321/2019 et 322/2019 du 19 juin 2019

Salaires dirigeants des entités publiques

Frais de session des conseils d’administration par catégorie


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2 réponses sur “Gabegie dans les entreprises publiques. Plus de 28 milliards de francs CFA perdus du fait de la contreperformance des entreprises publiques !”

  1. Très bln article Prof. Au Cameroun on a comme impression que tout ce qui est publique ne doit pas être performant. .les nominations à la tête des entreprises publiques notamment est dans la majorité des cas une récompense politique ce qui cause déjà un biais avec la performance qu’on exigera de ce promu . Au delà des propositions faites Pr ,je préconise une sanction pécuniaire quand durant un exercice on a réalisé une mauvaise performance dont la cause est endogène à l’entreprise.

  2. Merci infiniment pour cet article qui édifie beaucoup ceux s’intéresse au Management des organisations publiques.

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