Interview accordée au Cameroon Business Today (SOPECAM) le 13 juin 2018
1. Un récent rapport de la Banque mondiale révèle que les inégalités de revenu liées au genre causent une perte de 160 000 milliards de dollars dans le monde. Qu’est-ce qui justifie la persistance des inégalités salariales entre hommes et femmes à l’échelle mondiale ?
Ces inégalités sont impressionnantes. Selon le rapport publié par l’Organisation Internationale du Travail en 2017, les femmes gagnent moins d’argent que les hommes dans tous les pays du monde. Elles atteignent 16 % en France et dépassent 40 % en Azerbaïdjan et au Bénin. Au moins trois raisons expliquent ces inégalités :
La discrimination : exclusion des femmes des sphères aux rémunérations importantes et prestigieuses.
Les positions et les itinéraires professionnels : il y’a deux fois plus d’hommes que de femmes parmi les managers en Europe; moins de 15 % de femmes dans les conseils d’administration aux Etats-Unis et en Europe et 7 % de femmes chez les startuppeurs et chez les grands capital-risqueurs aux Etats-Unis. Au Cameroun, cet écart est plus marqué au fur et à mesure qu’on monte dans la hiérarchie.
La nature (aptitudes) : Jacob Mincer (1970), professeur à l’université de Columbia, postule que « les différences de salaire entre les salariés sont dues principalement à des différences dans la dimension des stocks en capital humain, et non à un « taux de salaire » différent par unité de stock de capital humain. « Donc si les femmes sont moins payées, c’est parce qu’elles le méritent.
S’il fallait identifier un coupable, on dira que les inégalités salariales sont la faute des hommes (discriminations), des femmes (préférences personnelles) et de la nature (les gènes, l’éducation, l’expérience). L’itinéraire des maternités semble ne pas être neutre dans cette réalité.
2. Quelle est l’incidence de cette inégalité de traitement salarial sur les performances des entreprises ? Autrement dit, qu’est-ce que ça coûte de ne pas payer les employés d’une entreprise au même pied d’égalité ?
Les employeurs peuvent-ils mieux payer leurs salariés ? Le salaire est-il un frein à la compétitivité des entreprises ?
Il faut préciser d’entrée de jeu que la propension à la l’augmentation salariale n’est pas genrée. Que ce soit pour les employés hommes ou femmes cette préoccupation est récurrente au sein des entreprises, au sein du personnel et des syndicats. Elle meuble également les réflexions scientifiques sur les liens entre salaire, productivité, compétitivité et croissance. Le traitement inégal des personnels au sein de l’entreprise conduit à au moins quatre conséquences.
La baisse de la productivité : un meilleur salaire produirait une meilleure productivité. Dès 1986, George Akerlof (qui obtiendra en 2001 le Prix Nobel d’Economie) et Janet Yellen (qui deviendra en 2014 Présidente de la FED – la Réserve Fédérale Américaine), proposaient une théorie des « salaires efficients » (theory of efficiency wages), indiquant qu’augmenter les salaires pouvait avoir sur certains marchés des conséquences positives sur la productivité et la compétitivité des entreprises.
Augmentation du turn-over et des coûts à l’embauche : de meilleurs salaires signifient souvent une meilleure stabilité de l’entreprise. Les meilleurs salaires sont aussi associés à une diminution des sanctions disciplinaires.
Baisse du bonheur au travail : il a été démontré que le salaire affecte le bonheur au travail. Un salarié plus heureux est plus efficace au travail, plus productif, plus motivé, il prend moins de congés maladie, il travaille mieux avec ses équipes.
Salaire égal une question d’équité plus que de montant : Dans les entreprises, de fortes inégalités de salaires entre les salariés les mieux payés et les moins bien payés semblent être un facteur décisif de perte de motivation pour les salariés. De même, l’égalité salariale est un signal de responsabilité sociale qui confère une légitimité à l’entreprise. Une entreprise qui applique une politique salariale discriminatoire à l’égard des femmes aurait une légitimité fragile.
3- Quelle est la situation au Cameroun en particulier et en Afrique en général ?
La situation au Cameroun et dans les pays en Afrique est comparable à la situation d’autres pays dans le monde. Vous entendrez certains dirigeants et responsables politiques affirmer qu’il n’existe pas de discrimination salariale dans la fonction publique entre les hommes et les femmes mais très peu mettront en exergue cette discrimination au niveau des incitations qui marginalisent les femmes. La rémunération retenue valorise les avantages liés au poste, pour la plupart occupés par des hommes. Les hommes auraient une rémunération d’au moins 5 fois plus que les femmes.
4- Qu’est-ce qu’il faut faire pour réduire ces disparités de traitement ?
L’une des économistes les plus réputées sur la question du genre, Claudia Goldin, a une autre explication de ce qui se passe en entreprise, qui tient aussi à l’interaction entre hommes et femmes. Pour cette professeure de Harvard, pour réduire les inégalités, il faudra avancer dans la flexibilité des horaires de travail et, au-delà, de l’organisation du travail pour qu’un salarié puisse en remplacer facilement un autre. En comparant des métiers comme les avocats, les chercheurs et les pharmaciens salariés, elle montre de manière assez convaincante à quel point cette question est cruciale. Mais Goldin est trop optimiste : la flexibilité ne suffira pas à clore ce qu’elle appelle « le dernier chapitre » de la convergence des salaires des femmes et des hommes. Il faut alors disposer de décideurs politiques et d’entreprises sensibles et engagés dans la diminution voire l’éradication de cette inégalité.