Parlons de l’efficacité de l’action humanitaire en contexte de crise (suite)

Dans mon dernier post sur ce sujet, je vous ai présenté le contexte : la problématique de l’efficacité des programmes cache à peine la crise de confiance qui existe entre les États souverains et les organismes humanitaires censés apporter leur appui à la gestion des crises. La question qui nous préoccupe est de savoir comment assurer l’efficacité des programmes humanitaires tout en préservant la souveraineté des États. La préoccupation de l’efficacité ici se réfère alors à l’analyse des rapports qui existent entre les organismes humanitaires et les États. Il s’agit d’apprécier leur efficacité dans leurs rapports concurrents avec les États.

L’approche retenue consiste à analyser la crise comme source de dépendance des États et l’identification des conditions d’efficacité des programmes humanitaires dans ce contexte.  La théorie de la dépendance des ressources (Pfeffer et Salancik, 1978) sert de référentiel.

  1. La crise, source de dépendance des États

Depuis 1949, le droit à l’assistance humanitaire en période de conflits armés est reconnu par les 168 Etats parties aux Conventions de Genève. Son champ d’action s’est élargi au fil des années, elle n’est plus seulement convoquée dans le cas des conflits armés, elle concerne désormais toutes les  formes de catastrophes ; qu’il s’agisse des catastrophes naturelles qui peuvent être géographiques (tremblements de terre, tsunamis et éruptions volcaniques), sanitaires, océanographiques (inondations, avalanches), climatologiques (sécheresses), météorologiques (tempêtes, cyclones) ou biologiques (épidémies, pestes), des catastrophes créées par l’homme (conflits armés, crash d’avion ou déraillement de train et les incendies) et des cas d’urgences complexes qui sont souvent une combinaison de facteurs naturels et humains, notamment l’insécurité alimentaire, les conflits armés et les populations déplacées. L’objectif principal est alors de protéger les populations victimes de ces catastrophes.

L’intervention des organismes humanitaires s’ajoute aux efforts déployés par les États et constitue d’importants appuis au point de créer une véritable dépendance des États, alors incapables de répondre aux besoins des victimes des crises. Dans ce contexte, l’action de l’État est secondée, mutualisée voire concurrencée avec celle des organismes humanitaires à la recherche des solutions durables et efficaces. En somme, il se créé un marché de l’humanitaire où cohabitent plusieurs « entreprises » et acteurs. Dans ce monde désormais « multicentré », on assiste très souvent à un foisonnement d’actions peu coordonnées et pas toujours cohérentes (bien que bienveillantes) en direction de la même cible ; entrainant une perte de contrôle de la situation par les États.

Il apparaît alors que les crises suscitent le déploiement des programmes humanitaires et accroissent de ce fait la dépendance des États vis-à-vis des ressources extérieures. Cette dépendance aux ressources extérieures et l’occupation du terrain par les organismes humanitaires questionnent le principe de la souveraineté des États d’où la question : comment garantir cette souveraineté en contexte de dépendance des ressources ?

  1. Garantir la souveraineté des États malgré la dépendance envers les ressources

La théorie de la dépendance des ressources nous offre quelques orientations pertinentes pour l’analyse. Elle part de l’hypothèse que l’État est davantage vulnérable quand la dépendance externe est importante. Le contexte de l’intervention simultanée de plusieurs organismes humanitaires dans le cadre de la gestion de la réponse à la crise humanitaire génère en effet des interactions complexes entre les organismes d’une part et, entre les organismes et les États d’autre part. Il peut arriver que l’État soit confronté aux demandes conflictuelles et ait des difficultés à apprécier sa sphère d’influence. Sa responsabilité est de gérer cette coalition d’intérêts pour que puissent se poursuivre les activités de l’État (Charreire Petit, 2009).

L’enjeu ici est double : reconnaître le contexte social et les contraintes avec lesquelles l’État va devoir opérer d’une part, et le choix des ajustements étatiques pour répondre à ces réalités sociales.

Le leader en Chef (le Chef de l’État) serait ainsi un « avocat » et un « manipulateur actif » des contraintes du contexte social au sein duquel l’État est inséré. Deux différents moyens sont alors possibles pour contrôler les situations d’interdépendance des ressources (Pfeffer et Salancik, 1978) : (1) les États doivent, soit accéder à l’information (par ses propres moyens) sur le fonctionnement des échanges, soit émettre des demandes d’informations fermes à ces organismes; (2) si le contrôle de la dépendance externe par le contrôle des ressources est difficile, les États ont recours à la sphère diplomatique à travers le lobbying afin de s’assurer de la maîtrise de sa souveraineté. D’après Pfeffer et Salancik, les lois, la légitimité et les résultats politiques sont également imputables aux actions étatiques pour infléchir leur contexte social dans une direction qui favorise leur survie, leur croissance et leur stabilité. Au lieu de considérer l’environnement comme une donnée, il est bien plus réaliste, de le penser comme le résultat d’un processus qui implique à la fois l’adaptation à l’environnement et des tentatives pour changer cet environnement (Oliver, 1991).

Au-delà des deux moyens évoqués, les États peuvent aussi s’engager à dynamiser les structures sous régionales auxquels ils appartiennent pour mieux contrôler l’interdépendance des ressources et réduire le contrôle externe. Ils pourraient alors faire de la question du libre-échange (et de la mutualisation des ressources) une véritable stratégie visant à garantir la souveraineté des États (appartenant à la communauté sous régionale concernée) par la maîtrise des ressources de toute nature.

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