Suspension du Cameroun de l’ITIE : Silence coupable ?

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Depuis l’annonce de la suspension du Cameroun de l’initiative pour la transparence des industries extractives, le 29 février 2024, aucun communiqué n’a été publié par le Gouvernement ou le comité ITIE. Pourtant nous avons répertorié au moins sept communications sur le sujet de la part des journalistes (6)[1] et de la société civile (notamment du Bâtonnier Akere Mouna).

Le Cameroun a été suspendu pour faible score global soit 53 points sur 100 de la norme ITIE 2019. Ce score est l’agréation de trois évaluations relevant des trois composantes : « Transparence », « Engagement des parties prenantes », et « Résultats et impact » ayant obtenu des notes successives de 71,5, 45 et 43 sur 100. Chaque composante est évaluée séparément et la note attribuée au pays représente la moyenne de ces trois scores. Bien qu’étant une sanction, cette décision laisse la possibilité au Cameroun d’éviter la radiation complète. Il s’agit d’une suspension dont le retour à la « case ITIE » à la suite de l’évaluation prévue le 1er avril 2027, est conditionné par un ensemble de réformes et de conformités. D’ailleurs, le Cameroun peut rallonger ou raccourcir ce délai à sa demande. C’est dire que la situation n’est pas désespérée ; il y a de bons points et des points de vigilance qui révèlent les principaux problèmes de gouvernance et permet d’envisager les actions immédiates à mener pour engager le retour du Cameroun à l’initiative ITIE.

  1. Les bons points

L’évaluation de l’ITIE reconnaît les efforts de transparence du Cameroun et met en lumière les nécessités d’améliorations, spécialement en matière d’engagement civique et de levée de certaines restrictions gouvernementales. En effet, la transparence justifie les bons points d’ailleurs rappelés par l’initiative : « Le Conseil d’administration félicite le Cameroun pour avoir progressivement renforcé les divulgations systématiques par l’entreprise pétrolière nationale, la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH), et pour avoir mis à l’essai la divulgation systématique des données de l’ITIE par une entreprise pétrolière et gazière privée. Le Conseil d’administration salue également la mise à l’essai par le Cameroun de nouvelles divulgations de l’ITIE sur les coûts des entreprises pétrolières et gazières et sur les saisies d’or de contrebande avant que de nouvelles dispositions à ce sujet ne soient introduites dans la Norme 2023 de l’ITIE ». Des efforts restent à fournir pour combler le gap des 29 points restants. Mais il est à rappeler que cette appréciation est le fruit des efforts consentis dans le domaine de la transparence.

  • Points de vigilance

Malheureusement, le mauvais score global est le fait des faibles notes des composantes « Engagement des parties prenantes », et « Résultats et impact ». L’engagement des parties prenantes est considéré comme insuffisant et l’accompagnement par le Gouvernement semble faible. A ce niveau l’évaluation révèle des violations du protocole de l’ITIE en ce qui concerne le choix des membres de la société civile et le processus de leur désignation. L’évaluation cache à peine sa désolation de constater que « plusieurs membres du Groupe multipartite issus de la société civile occupent des postes gouvernementaux de haut niveau (ou ont récemment pris leur retraite après avoir occupé ce type de poste) dans des ministères participant directement au processus ITIE ». Ce qui est davantage inquiétant c’est le faible engagement de ces parties prenantes dans l’exercice de leurs missions aussi bien en ce qui concerne leur implication dans les débats publics que leurs engagements sur le terrain en ce qui concerne la dissémination des informations issues de la composante « transparence ». Il ressort en définitive que cette composante souffre d’au moins quatre maux : composition du comité en violation du respect de la nature des membres et de leur représentativité, faible suivi de la part du Secrétariat, faible accompagnement du gouvernement, faible compétence et engagement des membres

La composante « résultats d’impact » obtient la note de 43 sur 100. C’est la composante où le Cameroun a obtenu la plus faible note. Elle révèle l’urgence à accorder au rapportage dans le cadre de l’ITIE. Les constats faits dévoilent un faible suivi de la mise en œuvre des recommandations des évaluations antérieures de l’ITIE, une faible implication des parties prenantes élargie aux non membres de l’Initiative mais qui sont impactées par celle-ci. Il s’agit ici des manquements au niveau des compétences de rapportage et d’implication de l’ensemble des parties prenantes dans l’évaluation des impacts de l’ITIE.

Comme on peut le constater, les trois composantes de l’ITIE sont intimement liées : pour que la société civile contribue au débat public dans une logique libre et critique, il faudrait que la composante de la transparence produise des données pertinentes et fiables ; que ces données soient disponibles et accessibles. De même c’est de l’engagement des parties prenantes que va dépendre la qualité des résultats d’impacts garantie par leur implication et la publication de leurs avis. De même, ceux-ci doivent être pris en compte par la composante transparence pour améliorer la gouvernance dans le secteur extractif au Cameroun. Cette interdépendance entre les variables justifient que le Cameroun ne puissent pas s’apitoyer sur les mauvais points ou jubiler des bons points, elle et une interpellation aux efforts conjoints à fournir pour que le score global du Cameroun soit amélioré et que les premiers indices de bonne foi interviennent dans le délai de 18 mois à compter de la publication de la suspension ; dans le but de mieux se préparer à l’évaluation qui démarrera le 1er avril 2027. Il convient dans ce cas de s’intéresser aux principaux problèmes de gouvernance qui s’en dégagent.

  • Les Principaux problèmes de gouvernance

Deux principaux problèmes de gouvernance sont soulevés dans l’évaluation de l’ITIE : la conformité et la performance du processus.

En ce qui concerne la conformité, en plus de l’inobservance des exigences de l’ITIE, il est révélé Problème de violation des conformités notamment la composition du groupe de la société civile (composé des hauts responsables de l’administration ou de retraités ayant travaillé antérieurement pour l’ITIE), l’irrégularité dans la rédaction et la divulgation des rapports des résultats d’impact de l’ITIE.

La question de la performance qui se réfère à l’effectivité, l’efficacité, l’efficience et la pertinence des actions de l’ITIE au Cameroun adresse deux principales préoccupations, une structurelle et une organisationnelle. Concernant la préoccupation structurelle, il se pose un réel problème de coordination des instances de l’ITIE (sélection des membres, effectivité des rôles assumés par chaque instance, extrants produits dans les délais). Au plan organisationnel, la question de la régulation juridique et les jeux d’acteurs sont préjudiciables. Spécifiquement aux jeux d’acteurs, l’absence de certains résultats pourtant atteignables peut être le fait d’une volonté politique de s’inscrire dans une progressivité lente (publication exhaustive des contrats et licences) ou des comportements opportunistes et laxistes.

Globalement, l’ITIE au Cameroun souffre d’un problème de gouvernance interne en ce qui concerne le respect des exigences du protocole ITIE et de coordination globale. Le Conseil d’Administration estime alors qu’il faut améliorer la gouvernance de l’ITIE au Cameroun pour accroître l’impact.

  • Actions à entreprendre : par où commencer ?

La réflexion sur les actions à entreprendre semble engagée si l’on s’en tient au DECRET N° 2024/00165 PM du 31 Jan 2024 portant réorganisation et fonctionnement du Comité de suivi de la mise en œuvre de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives qui intervient un mois avant la suspension comme un signal de l’engagement du Gouvernement à éviter la radiation.

De façon plus opérationnelle, trois orientations peuvent être envisagées :

Premier orientation : résoudre les problèmes de conformité notamment en ce qui concerne la composition de la société civile et la divulgation des informations disponibles et attendues dans le cadre de l’ITIE. Dans ce volet il est également urgent de s’approprier la norme 2023 plus exigeante en matière de propriété effective et de transition énergétique. Les rôles de la société civile sont fortement interpellés comme ceux des entités publiques pertinentes en matière de transparence notamment le ministère des finances (Trésor et budget) le ministère en charge des mines, la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH), la Société Nationale des Mines (SONAMINES) et l’Institut National des Statistiques (INS).

Deuxième orientation : agir sur les questions politiques et législatives comme l’élaboration et divulgation des processus de désignation des membres dans le comité ITIE. Le décret de janvier est la première réponse à cette préoccupation, reste à mettre en place des outils opérationnels pour faciliter l’action ; assurer la régulation juridique : révision de la loi de 2018 sur le code de transparence et de bonne gouvernance et le décret sur le code minier pour y introduire les exigences ITIE. Il est également question d’actualiser le décret de l’ITIE pour y introduire les normes de 2023. Dans cette option la question du rattachement du Comité n’est pas banale. Les évaluations sont adressées au Gouvernement et c’est lui qui en assume toutes les conséquences en terme d’image et d’attractivité économique et diplomatique, on pourrait donc envisager le rattachement du comité au premier ministère ou à la Présidence de la République avec l’une des entreprises extractives importantes en guise de responsabilité opérationnelle (SNH ou SONAMINES).

Troisième orientation : améliorer la coordination technique. Il s’agit de disposer d’un secrétariat technique efficace à même d’assurer que ce qui doit être fait se fasse. Ceci exige un choix adéquat des responsables du secrétariat technique, la mise à disposition des moyens techniques et financiers pour la mise en œuvre du plan ITIE et le suivi des trois composantes. Il est aussi question de lever tous les goulots d’étranglement en ce qui concerne les jeux d’acteurs et les comportements opportunistes de ceux-ci.


[1] RFI, Cameroun Tribune, Ecomatin, Journal du Cameroun, un journaliste sur LinkedIn, Investir Cameroun. 

2 réponses à “Suspension du Cameroun de l’ITIE : Silence coupable ?”

  1. « les jeux d’acteurs et les comportements opportunistes » sont dans l’ADN de ce régime. Imaginez-vous un seul instant qu’ils pourront publier la liste effective des bénéficiaires des permis miniers ? Ça, jamais. C’est eux-mêmes ! Go ahead ma Prof. Excellent début de semaine

  2. Bonsoir et merci beaucoup Professeure pour toutes vos publications qui enrichissent davantage nos connaissances sur l’actualité du Cameroun.

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